Le Roi Louis II de Bavière est l'un des personnages de cette pièce de théâtre légère et insignifiante jouée à Paris au théâtre de Chaillot en 1885 et intitulée A Chaillot, revue en 1 audience. Il s'agissait d'une "revue", un genre théâtral qui associe musique, danse et sketches qui font la satire de personnes contemporaines, de l'actualité ou de la littérature. Elle est due à la plume de Charles Périer.
Si cette "revue" est tombée dans les oubliettes de l'histoire du théâtre, les répliques placées dans la bouche du personnage de Louis II ne sont pas sans intérêt parce qu'elles témoignent de la réputation qu'on avait faite au Roi de Bavière dans la France des années 1880.
Le Roi fait son entrée en scène à la scène VIII et chante sa première réplique sur un air d'Offenbach:
SCÈNE VIII LES PRÉCÉDENTS, LE ROI DE BAVIÈRE.
LE ROI DE BAVIÈRE, entrant.
Air des Deux Aveugles (Offenbach).
Dans ma pauvre vie malheureuse
Sans Wagner, plus de bonheur
Toujours dans une détresse affreuse
Ah ! combien que j'ai de malheur.
Que les charitables personnes
Donnent une obole au malheureux,
Le Roi de Bavière, à qui qu'on fait l'aumône
N'est point z'un faux né, un faux né, N'est point un faux nécessiteux.
L'AVOCATE.
Mais, mon garçon, on ne s'introduit pas ainsi dans les maisons, vous êtes un vagabond.
LE ROI.
Je suis le roi. de Bavière.
L'AVOCATE.
Qu'est-ce que vous faites ?
LE ROI.
Je tire le diable par la queue. Après avoir fait faire de la musique à ma cour. (Il se découvre) J'en fais dans les cours des autres.
L'AVOCATE.
Ce n'est pas un métier.
LE ROI.
J'ai d'abord été cocher de fiacre, à Venise.
L'AVOCATE.
Vous n'avez pas causé d'accidents?
LE ROI.
Si, jai trouvé moyen. Mais j'ai quitté Venise parce qu'on m'a dit qu'on allait jouer Lohengrin, à Paris.
LA DAME.
A l'Alcazar d'hiver.
L'AVOCATE.
Alors, vous êtes cocher à Paris.
LE ROI.
Je suis à pied pour le quart d'heure. J'ai eu une première contravention parce que j'ai traversé le pont des Arts, avec ma voiture. et puis une seconde, parce que je n'étais pas à 70 centimètres du trottoir.
LA DAME.
Oui, la nouvelle ordonnance du Préfet.
LE ROI.
M'en parlez pas. Tous les matins, l'préfet, M. Grognon,se dit en se réveillant : « Qu'est-ce que je pourrais bien faire pour embêter les cochers de fiacre. »
L'AVOCATE.
Respectez l'autorité.
LE ROI.
J'ai eu une troisième contravention parce que j'ai dit des gros mots à un client qui trouvait que je ne prenais pas le plus court.
L'AVOCATE.
Comment! on vous a poursuivi pour avoir injurié des clients.
LA DAME.
C'est invraisemblable.
LE ROI.
Voilà comment ça s'est passé; en manière de plaisanterie, j'ai dit au sergent de ville : « Miteux, tu sens l'eau de Cologne. »
L'AVOCATE.
Ce n'est pas une injure de dire qu'on sent l'eau de Cologne.
LE ROI.
Au contraire, mais c'est un nouveau président qui m'a jugé, un ancien député qui a été nommé récemment. M. Margue.
L'AVOCATE.
Tout s'explique.
LE ROI.
Quand j'ai été condammé je n'ai dit qu'un mot. Mer.. ci ?
J'vais vous dire, c'est que j'avais mon idée. Toutes les fois que je suis pris à l'heure, je passe par la rue Montorgueil, mon épouse morganatique est caissière chez un fabricant de sangsues dans cette rue; j'lui dis bonjour en passant. Tenez tout à l'heure pour venir venir de la place de la Concorde, à la rue Magellan, savez-vous le chemin que j'ai pris ?
LA DAME.
Les Champs-Elysées, tout droit.
LE ROI.
J'ai pris la rue de Rivoli, les Halles, la rue Montorgueil, les boulevards jusqu'à la Madeleine et le boulevard Malesherbes.
L'AVOCATE.
Et on vous a donné un pourboire ?
LE ROI.
Tout d'même, c'est si naïf le bourgeois, et sans compter que les petites rues sont les meilleures pour les accidents, ce sont les plus petites qui font le plus d'embarras.
Ainsi, dans cette pièce, Louis II est-il devenu cocher de fiacre à Paris.
Par la suite, à la scène X, le personnage de Rodrigue s'adresse au Roi et lui prédit qu'il sera bientôt le patient du Dr Blanche, un célèbre médecin aliéniste connu notamment pour avoir soigné Gérard de Nerval. Le propos est bien sûr anachronique, le Dr Blanche étant mort en 1852. Mais ce qui est ici remarquable, c'est l'allusion claire à la folie présumée du Roi de Bavière:
SCÈNE X
[...]
RODRIGUE, solennel.
Malheureux roi, sur toi le sort s'acharne.
Pas bien loin de Paris, sur le bord de la Marne
Il est un beau pays, tout près du confluent
Où tu pourras rêver, tranquille en ton tourment
De ton royal ami. Pour un prix fort modique,
On te soignera bien. Une boîte à musique
Te jouera constamment des airs de l'Œil crevé.
Par ce moyen, mon vieux, tu seras préservé
Tu causeras souvent avec le docteur Blanche
En entendant chanter les oiseaux sur la branche
Tranquille et reposé, dans un frais cabanon
D'où tu contempleras le pont de Charenton.
[...]
Vers la fin de la revue, à la scène XII, un personnage incarnant le Pont-Neuf évoque encore le Roi de Bavière:
SCÈNE XII (Le Pont-Neuf tâche d'être galant, mais la Porte-Saint-Denis le repousse.)
[...]
PONT NEUF.
Ce malheureux roi de Bavière
A perdu le boire et l'appétit
Depuis qu'Wagner est dans sa bière
Il trouve qu'on n'fait plus d'bruit.
Frappez fort, etc.
Ah frappez toujours, frappez encore
[...]
Source: cette "revue" a été mise en ligne par Gallica (le site on line de la BNF), où on peut en lire gratuitement le livret.
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