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dimanche 27 août 2017

Les jeunes baroqueux d'Innsbruck ressuscitent l'Octavia de Reinhard Keiser

Suzanne Jerosme (Octavia), Morgan Pearse (Nero)
© Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl

Le Festival de musique ancienne d'Innsbruck a présenté comme dernier opéra de son édition 2017 une oeuvre de Reinhard Keiser (1674-1739), un contemporain et rival de Haendel, aujourd'hui quaiment oublié, mais qui fut en son temps un des plus illustres compositeurs dramatiques en Allemagne. 

C'est Romain Rolland, musicologue et écrivain pacifiste ami de Richard Strauss, qui contribua à la redécouverte et à l'introduction de l'oeuvre de Keiser en France. Nous lui empruntons les données biographiques qui suivent. Keiser fit par ses œuvres la gloire de l'Opéra de Hambourg, qui fut le premier théâtre musical de langue allemande. Il était né en Saxe, et était le fils d'un musicien. Après avoir étudié à la Thomasschule de Leipzig, il alla à la cour de Brunswick, où il rencontra un kapellmeister alors célèbre, Sigismond Cousser, qui avait été à Paris disciple de Lulli. C'est ainsi que l'opéra français a sa part dans la fondation de l'opéra allemand. Cousser fut appelé à Hambourg, où il prit la direction du théâtre, dont il fit bientôt un des premiers du monde. Reinhard Keiser avait suivi Cousser, et dès 1692 commença de faire représenter des opéras. Quelque temps après, alors qu'il avait à peine vingt-cinq ans, il était le maître incontesté de la musique dramatique allemande. En 1702, il devint directeur de l'Opéra de Hambourg. Keiser ne composa pas moins de cent vingt opéras, dont les deux tiers sont perdus. Haendel, qui au début de sa carrière habitait Hambourg, eut pour modèle les opéras de Reinhard Keiser. Jean-Sébastien Bach s'est inspiré de lui dans ses récitatifs. Par le naturel de sa mélodie, il est l'un des fondateurs du lied allemand, comme il est, par le souci de l'expression dramatique, le fondateur de l'opéra germanique et le précurseur véritable de Gluck et de Mozart. 

En 1706,  Keiser produit deux de ses chefs d'oeuvre: l'Octavia (en allemand Die römische Unruhe, oder Die edelmütige Octavia) de 1706 et l'Almira de 1706, que le compositeur avait écrits pour rivaliser avec l'Almira et le Nerone de Haendel (1705). Ce dernier ne lui en tint pas grand rancune puisque on sait que Haendel appréciait les oeuvres de Kaiser, au point d'avoir emporté la partition de l'Octavia lors de son voyage en Italie, et de s'en être inspiré pour ses opéras italiens. 

Le livret de l'Octavia est  une pièce mal composée, fort touffue avec ses multiples intrigues secondaires dans lesquelles on a tendance à se perdre d'autant que comme elle est peut jouée, elle est naturellement peu connue. L'oeuvre est malgré tout très vivante, avec de gentils petits côtés shakespeariens. Les longueurs de l'écriture et la complexité de l'intrigue sont compensées par la variété instrumentale de la composition. Keiser, dans une préface d'Octavia, en 1706, annonçait vouloir «  peindre la colère,la compassion, l'amour, la générosité, la justice, l'innocence, etc., dans leur nudité naturelle, et de contraindre les cœurs à telle on telle passion, suivant sa volonté » et, pour y parvenir, considérait l'instrumentation comme un moyen expressif de premier ordre. C'est dire que l'instrumentation a autant d'importance que les voix et que de simples instruments sont aux yeux du compositeur à même de représenter l'amour, la jalousie, l'exercice du pouvoir ou l'héroisme de l'abnégation. Ainsi les instruments doivent-ils être capables à eux seuls d'exprimer toutes les nuances d'une Carte du Tendre et  il y a chez Keiser l'intelligence d'une une rhétorique instrumentale. Keiser a par ailleurs développé les premiers grands modèles du récitatif allemand. Un exemple remarquable d'expression dramatique en est cette scène du second acte d'Octavia, où Octavie s'apprête à se suicider, sur l'ordre de Néron. Keiser est par ailleurs un mélodiste renommé, qui a su écrire des airs aussi admirables que variés.  

La nouvelle mise en scène de cet été n'est pas parvenue à résoudre cette contradiction d'une oeuvre au livret impossible mais dont la composition est à bien des égards intéressantes. François de Carpentries double le personnage de Néron en en faisant le metteur en scène d'un opéra qu'il fait représenter et dans lequel il s'arroge le rôle principal. Avant les premiers accords, Néron distribue les rôles à ses acteurs qui se métamorphosent instantanément dans les personnages de l'action dont ils adoptent les attitudes. Les acteurs se voient aussi  confier par Néron la tâche d'aménager et de déplacer les décors (décors et costumes de Karine Van Hercke) faits de panneaux de cartons peints, solution ingénieuse aux lieux qui accueillent cet opéra (en principe en plein air dans la cour de la faculté de théologie d'Innsbruck) et qui ne sont pas équipés pour le théâtre. Mais ce théâtre dans le théâtre, qui correspond bien à l'esprit de la pièce, n'est jamais qu'un arbre qui cache la forêt et ce procédé qui n'a rien de nouveau ne résout en rien l'embrouillamini d'un spectacle qui s'étire sur trois heures trente de représentation. Les changements de costumes ne résolvent pas non plus un autre problème du livret qui est l'univocité des personnages qui ne connaissent pas d'évolution psychologique et restent de bout en bout pareils à ce qu'ils étaient au début de l'action malgré le drame dans lequel ils sont plongés. Pour éviter les longueurs, il eut fallu sabrer dans le livret et privilégier l'intrigue principale, ce qui est contraire à l'esprit du Festival d'Innsbruck qui tient à restituer les oeuvres dans leur facture originale.

Reste l'enthousiasme des chanteurs et des instrumentistes de ce spectacle que le Festival confie traditionnellement aux jeunes baroqueux. L'orchestre de 18 musiciens du Barockensemble:Jung" est placé sous la direction enthousiaste de Jörg Halubek, un fin connaisseur de la musique baroque, organiste et claveciniste renommé pour ses interprétations  des oeuvres de Bach et dont la direction d'orchestre bénéficie de ce bagage. Le baryton Morgan Pearce, qui avait remporté l'an dernier le Concours Cesti, prête son organe puissant et sa forte présence scénique au personnage de Néron. La prestation le plus remarquable de la soirée est sans conteste celle de l'Octavia de la française Suzanne Jerosme, finaliste du Concours Cesti de l'an dernier, dont l'interprétation extrêmement touchante et sensible est mise à rude épreuve, car son chant doit affronter celui de trois autres sopranos, dont celui de la provocante Ormoena de Frederica Di Trapani dont la voix haut perchée et dotée de beaux scintillements métalliques porte fièrement la vindicte. Pas moins de onze solistes rivalisent de talent pour exprimer leurs émois et leurs appétits amoureux de cette oeuvre composée par Keiser que son contemporain et ami Mattheson qualifiait de musicien de l'amour et de peintre de la passion.



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