Christian Gerhaher (Photo Hirochimi Yamamoto) |
A la suite d'illustres interprètes, le baryton Christian Gerhaher nous livre à son tour sa merveilleuse interprétation des 15 Lieder, accompagné au piano par son accompagnateur complice Gerold Huber dans une nouvelle adaptation du texte spécialement écrite à la demande duchanteur par l'écrivain allemand Martin Walser. Gerhaher, qui trouvait obsolète la langue du texte original dérivé d'un roman de Ludwig Tieck, s'était adressé en 2011 à Martin Walser pour qu'il en donne une version aux accents plus contemporains. C'est ainsi que s'est trouvé revivifié le texte de Brahms basé sur le récit de Tieck, qui avait écrit un roman en 1797 tiré du roman en prose Pierre de Provence et la belle Maguelone, dont la première version écrite remonte à 1453, mais dont l'origine remonterait peut-être au 13e siècle, le cycle de Lieder de Brahms étant quant à lui directement inspiré du roman de Tieck. L'originalité de cette oeuvre de Johannes Brahms tient dans cette rencontre du Lied et du récit, et fait du piano un personnage essentiel de la représentation, une trosième voix qui participe du drame . Christian Gerhaher et Gerold Huber, qui ont donné la première de ce récital à Coburg, en ont sorti un CD qui vient de sortir chez Sony, pour lequel Martin Walser, né en mars 1927, a encore interprété le rôle du narrateur!
Le Festival d'Opéra de Munich a eu l'heureuse idée d'inviter Christan Gerhaher pour ce magnifique récital qui arrive à Munich après avoir été présenté Heidelberg et Londres (Wigmore Hall). Hier soir, le rôle du narrateur a été interprété par Ulrich Tukur, un acteur allemand qui au cours de sa carrière s'est notamment illustré par son interprétation de grands rôles shakespeariens.
Si les chansons sont bien celles de Brahms, le récit de Martin Walser s'écarte sensiblement de la veine romantique, spécialement dans l'interprétation qu'en donne Ulrich Tukur, qui énonce le texte avec une rapidité peu commune en introduisant une dimension ironique qui en transforme le sens. On pourrait discuter ici de savoir qui de Walser ou de Tukur transforme un récit épique en un spectacle plutôt comique, tout au moins pour la partie du narrateur. Le roman d'origine traitait des hauts faits et gestes d'un noble chevalier qui part à la conquête d'une belle qu'il ne connaît pas, n'a jamais vue mais dont il a seulement entendu évoquer les charmes, -un topos typique de la littérature courtoise-, qui la conquiert par sa seule valeur au combat, en restant volontairement anonyme, -avec un petit côté Lohengrin-, refusant de se targuer de son illustre naissance pour conquérir le coeur de sa belle. La destinée est cependant un moment hostile au couple qui se voit séparé, mais qui finit par se retrouver et par trouver le bonheur au final, après d'incroyables péripéties dignes des romans romantiques les plus noirs. Dans la nouvelle version, le conte merveilleux est décapé par l'humour du texte transformé que le jeu de l'acteur renforce encore, notamment lors de l'introduction de chacun des Lieder par une formule qui devient rapidement rituelle du type C'est alors qu'il se mit à chanter... Bien sûr le public passe un bon moment avec ce comique de narration sur lequel un grand acteur n'a a aucune difficulté à insister: chaque fois qu'il pousse sur le bouton du rire, le public rit de bon coeur. A chacun d'estimer cependant si ce jeu qui détourne, non sans tendresse cependant le sens d'une oeuvre romantique en valant la chandelle. La soirée y gagne certes en bonne humeur, mais il en résulte une perte de l'intensité dramatique.
Cette discussion mise à part, le véritable bonheur de la soirée vient du chant et de l'accompagnement pianistique. Christian Gerhaher appartient à la cour suprême des meilleurs récitalistes contemporains. Cet ancien élève de Dietrich Fischer- Dieskau, d'Elisabeth Schwarzkopf et d' Inge Borkh, grand schubertien, a été récompensé de la prestigieuse médaille Wigmore et l'an dernier par sa désignation comme chanteur de l'année par Opernwelt. Dans son interprétation de la Belle Maguelone, Gerhaher atteint des sommets de précision dans le rendu des couleurs: le chant énonce toute la palette émotionnelle de la naissance d'un amour adolescent avec tout ce qu'il peut avoir d' excessif et d'impétueux, avec toutes ses timidités, ses pertes de moyens et ses éclats, avec son triomphe et sa plénitude enfin: Christian Gerhaher nous propose un parcours de la Carte du Tendre peut-être encore plus attachant, mais aussi par moments plus vibrant et musclé, que celui qu'avait en son temps offert son maître Fischer-Dieskau accompagné par Sviatoslav Richter. Il fait aussi la démonstation éclatante de ses talents d'acteur dans sa récitation poétique des textes qui suivent le quatorzième Lied, "Süß ist's, mit Gedanken geh'n...", où paraissent aussi, comme l'évidence d'une philosophie de vie, aussi cette énorme tendresse et cette humanité qui caractérisent Gerhaher au quotidien. Ces mêmes qualités transcendentales animent la voix du piano servie par un Gerold Huber aussi magique que discret. ce sont ces qualités encore que font culminer Christian Gerhaher et Gerold Huber dans la poésie fleurie, touchante et délicate du final. Avec ces lieder de Brahms, tantôt joyeux et pleins d'entrain, tantôt tristes ou mélancoliques, ils ont captivé un auditoire séduit tant par l'intensité de l'expression que par la noblesse et la tendresse de leur interprétation
Bamberg, Francfort et Vienne accueilleront les prochaines représentations de ce cycle de Brahms interprété par Christian Gerhaher et Gerold Huber.
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