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jeudi 6 avril 2017

La Bacchanale de Tannhäuser, un article d'Isadora Duncan daté de décembre 1911 (1)

Carte postale munichoise de 1908 représentant le groupe d'Europe
dans Tannhäuser (collection privée)

Isadora Duncan (1877-1927) publie en première page du Gil Blas du 8  décembre 1911 un court article consacré à la Bacchanale de Tannhäuser.

La Bacchanale de Tannhäuser

Richard Wagner a donné pour cette Bacchanale les indications suivantes :

1° Danse voluptueuse, amoureuse, les nymphes excitant les jeunes hommes à se mêler avec eux ; ceux-ci descendent les praticables, se répandent sur la scène. Ils se cherchent, se fuient et s'agacent ;

2° Danse générale, espèce de cancan mythologique ;

3° De nouveaux groupes arrivent, des Bacchantes se précipitent et excitent les couples amoureux à une joie sauvage ;

4° Mêlée de tous, danse fantastique ; 

5° Volupté lascive. (Prédominance de l'élément féminin.) ;

6° L'impétuosité masculine augmente.

Toujours de nouveaux arrivants ;

7° Une sorte de convulsion voluptueise; on croit entendre des cris, les hurlements de joie. La frénésie atteint son comble; 
8° Changement subit de l'action ; des trépignements voluptueux remplacent les convulsions. Prédominance de l'élément animal, faunes, satyres, entraînent les autres. Crescendo continuel ; 

9° Summum du délire et du désordre. Ils sont tous sur le point de rouler à terre ;

10° Les Grâces se lèvent épouvantées et éloignent les couples avec une douce violence. Danse des trois Grâces.-

Pour réaliser ces rêves, un seul geste d'appel pourra évoquer mille bras tendus,  une seule tête rejetée en arrière représentera tout le tumulte bacchique qui est l'expression de la tempête allumée dans le sang de Tannhäuser. Il me semble que, dans cette musique, est concentré le rut inassouvi, la folie exaspérée, la langueur passionnée, bref tout le hurlant désir du monde. 

Et quand ces désirs terribles arrivent au paroxysme, quand ils atteignent le point où, rompant toutes les barrières, ils se ruent comme un irrésistible torrent, je couvre la scène de ténèbres, de façon à ce que chacun puisse, sans voir, réaliser, dans son imagination, un dénouement qui dépassera toujours - la vision concrète.

Après cette explosion et cette destruction, vient l'apaisement. Ce sont les trois Grâces qui incarnent le calme et la langueur de la sensualité amoureuse satisfaite. Dans le rêve de Tannhäuser, elles s'enlacent et se séparent, se joignent, et s'éloignent de nouveau. Elles chantent les amours de, Zeus. Elles lui racontent l'aventure d'Europa. portée à travers les flots. Leurs têtes s'inclinent avec amour ; elles sont inondées, elles se noient dans le désir de Leda amoureuse du cygne blanc. Elles ordonnent ainsi au Tannhäuser de reposer dans la blancheur des bras de Vénus.

Faut-il avoir devant les yeux la représentation grossière de ces visions ? Ne préféreriez-vous pas, fixant vos yeux dans les espaces flous, voir Europa aux bras souples enlaçant le cou du grand taureau, et faisant à ses compagnes, qui l'appellent du rivage, un ultime geste d'adieu ? Ne préféreriez-vous pas, fixant vos yeux dans l'ombre, apercevoir Léda à demi couverte par les ailes du Cygne, pantelante sous le baiser proche ? Peut-être répondriez-vous :

« Oui ». Pourquoi êtes-vous là ? »

Moi, je vous dis simplement ; « Je suis peut-être une indication. »

Isadora Duncan.


Pour aller plus loin: on pourra utilement se référer à l'article très documenté de Cyril Plante ISADORA DUNCAN (1877–1927) ET L’ESPRIT DE LA DANSE, Richard WAGNER, « TANNHÄUSER » et Isadora DUNCAN ou la fusion des mythes : le récit d’une rencontre « hors normes » au Festival de Bayreuth en 1904, publié sur le site du  Musée virtuel Richard Wagner, dans lequel Cyril Plante raconte les circonstances de la première interprétation par Isadora Duncan de la Bacchanale à Bayreuth en 1904.


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