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samedi 11 mars 2017

Lohengrin à Paris en 1881: le refus du Roi Louis II de Bavière

Angelo Neumann en 1903
La Revue musicale de Lyon du 3 novembre 1907 publiait ces extraits des Souvenirs d'Angelo Neumann qui relatent l'échec de son projet d'un Lohengrin parisien en 1881. 

Lohengrin à Paris en 1881

     Le célèbre imprésario Neumann vient de publier un livre de Souvenirs sur Richard Wagner (1) dont il a été un des premiers et plus précieux partisans.
    Neumann, qui est né à Vienne en 1838, fut pendant près de vingt ans un ténor apprécié dans les théâtres allemands; c'est seulement quand il devint, en 1876, directeur de l'Opéra-de Leipzig, qu'il entreprit ses fameuses tournées wagnériennes à  Berlin, à Londres, à Rome, à Saint-Pétersbourg. 
    En 1881, il voulut organiser à Paris des représentations de Lohengrin et de Tannhoeuser, et voici comment Neumann raconte dans ses Souvenirs  l'histoire de son projet et de son échec, histoire du plus vif intérêt, que nous résumons d'après la traduction qu'en a donnée le Bulletin français de la Société internationale de Musique (ancien Mercure Musical).
    Il arriva à Paris au milieu de 1881 ayant arrêté de la façon suivante la distribution de la pièce: Elsa, Mme Sachse-Hofmeister; Ortrud, Mme Reicher-Kindermann, doublée par A1ma Materna; Lohengrin Henri Vogl; Telramund, Otto Schelper; le roi Henri, Heinrich Wiegand. Comme chef d'orchestre, Anton Seidl ou Mottl.
    Neumann était muni de recommandations de Bismarck pour l'ambassadeur d'Allemagne, prince Hohenlohe, et pour l'ambassadeur d'Autriche, comte Beust. Il avait une lettre de Mme Cosima Wagner, pour Jules Ferry, ministre des affaires étrangères, et de chaleureux mots d'introduction pour Saint-Saëns et Gounod.

Le Théâtre-Lyrique en 1862 (dénommé ensuite théâtre des Nations)
    L'imprésario se mit en quête d'un théâtre; le théâtre des Nations, actuellement théâtre Sarah-Bernhardt (2), lui plut, il entra en pourparlers avec le directeur. Toutefois, avant de conclure, il voulut s'assurer de la possibilité de l'entreprise.
     Le prince Holenlohe lui dit d'abord: « Signez tranquillement, le Lohengrin allemand remportera avec vous un triomphe à Paris » puis il se ravisa pour lui déclarer : « Écoutez, mon cher directeur, ne concluez pas encore; je voudrais connaître l'avis du gouvernement. Je donne après-demain un dîner officiel; le président de la République et tous les ministres seront là; je mettrai la conversation sur votre sujet et je verrai ; attendez jusque-là et je vous ferai signe.»
    En attendant, Neumann poursuivit ses démarches. Saint-Saëns se montra enthousiaste du projet et donna, en l'honneur de l'imprésario, un déjeuner où des toasts vibrants furent portés.
     Cependant, l'ambassadeur d'Autriche avait fait au projet dé Neumann les plus expresses réserves. « Mon cher ami, lui dit le comte Beust, je tiens votre entreprise pour tout à fait dangereuse. Les Français démoliront votre théâtre. »
     Des difficultés surgirent. Lamoureux et l'éditeur Durand, forts d'un contrat antérieur avec Wagner, déclarèrent qu'ils s'opposeraient aux représentations de Lohengrin. Neumann prête même à ce sujet à Lamoureux d'invraisemblables paroles. Comme on parlait de procès, le célèbre chef d'orchestre se serait écrié :
      — Vous ne trouverez pas en France un juge pour donner tort à un Français contre un Allemand.
     — Eh bien, aurait répliqué Neumann, moi j'ai plus de respect que vous, de la justice française, et je suis persuadé qu'un magistrat français donnera toujours gain de cause à un Allemand contre un Français, si l'Allemand a raison. 
     Une lettre de Mme Wagner vint arranger les choses et les négociations continuèrent. Le prince Hohenlohe lui rendit compte, en ces termes, des conversations qu'il avait eues et qui lui étaient favorables :
     « Au dîner officiel, lui dit-il, je vous ai mis en cause, et j'ai demandé si le gouvernement aurait quelques scrupules politiques à autoriser des représentations de Lohengrin en allemand par des artistes allemands, en faisant remarquer que les choeurs, l'orchestre et les décors viendraient d'ici.
    « Le président Grévy répondit le premier : « Je n'y mets « qu'une condition : la première loge souscrite le sera par la « présidence. » Gambetta ajouta : « Je retiens la seconde. », Et ainsi de suite pour chacun des membres du gouvernement: »
    Après avoir insisté sur quelques détails, le prince conclut avec bienveillance: « Signez vos contrats et réservez-moi une loge aussi. »
   Neumann télégraphia en Allemagne, conclut avec la direction du théâtre des Nations, lui remit 15.000 francs de provision, commanda les décors, les costumes, embaucha des artistes pour les choeurs et l'orchestre. Puis, il se rendit à Munich pour obtenir du toi l'autorisation de laisser jouer a Paris M. et Mme Vogl.
   A son arrivée, une surprise l'attendait : Vogl lui annonça que des dépêches venues de Paris assuraient l'échec de son entreprise. Le roi en avait reçu de particulières et refusait l'autorisation demandée, « par crainte de voir le théâtre assailli pendant les représentations et la vie des artistes allemands mise en danger ».
     A Vienne, même note pessimiste.
    Neumann, découragé, renonça à son entreprise : Lohengrin ne devait pas encore être donné à Paris.
Ce qui l'étonna le plus, ce fut d'apprendre que la dépêche qui avait si fort alarmé le roi de Bavière était du prince Hohenlohe, du même ambassadeur qui lui avait prodigué tant d'encouragements. 
   Pourquoi l'ambassadeur avait-il en si peu de temps change d'avis et ruiné des projets qu'il avait aidé à bâtir?  Les souvenirs d'Angelo Neumann ne le disent pas.

(1) Neumann (Angelo), Erinnerungen an Richard Wagner, L. Staackmann Verlag, Leipzig, 1907

(2) Le Théâtre-Lyrique de la Place du Châtelet est reconstruit par Gabriel Davioud en 1874, il se nomme Théâtre lyrique dramatique (1874-1875), Théâtre historique (1875-1879), Théâtre des nations (1879-1886 et en 1898), Théâtre de Paris (1886-1887) et Opéra-Comique (1887-1898). En 1899 Sarah Bernhardt en prend la direction et lui donne son nom. En 1944 il s'appella passagèrement Théâtre de la Cité sous la direction de Dullin. Il accueille le Théâtre des Nations (à partir de 1956), la compagnie Jean-Louis Barrault (1956) et le Théâtre du peuple

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