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jeudi 2 mars 2017

Champfleury: Wagner, une grande figure d'hier et d'aujourd'hui (1861) (1)




Le journaliste et critique d'art Jules François Félix Husson (1821-1889) est mieux connu sous ses pseudonymes de Fleury ou de Champfleury. Grand défenseur du réalisme, il fut aussi dramaturge, nouvelliste et romancier, amateur de faiences et de chats, et un des premiers défenseurs de la musique de Richard Wagner. Dans ses Grandes figures d'hier et d'aujourd'hui, il réunit une série d'articles composés indépendamment les uns des autres et consacrés à quatre grandes figures de l'art du 19e siècle que le critique admirait:  Bazac, Nerval, Wagner et Courbet. Nous retranscrivons ici les articles consacrés à Wagner.

L'avant-propos de ce volume publié en 1861 est daté du  3 décembre 1860.


Extraits de la préface consacrés à Richard Wagner


      Quoique ce volume ne soit qu'une collection d'articles publiés à différentes dates, j'éprouve à le réimprimer la même joie qu'ont les vieux soldats à parler de Wagram et de Friedland, car chacune de ces pages a presque toujours nécessité un combat. En parlant plus spécialement de Balzac , de Courbet, de Wagner , il m'est permis de dire : J'étais là, j'ai combattu. Et un secret orgueil me vient surtout de ce que je n'ai pas attendu le triomphe de ces maîtres pour m'atteler à leur succès. [...]

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      [...]L'arrivée de Richard Wagner en France fera époque dans l'art, et nous aurons l'hiver prochain de curieuses luttes. L'illustre compositeur ne cherche pas à rendre l'esprit moderne dans ses opéras ; nourri des grandes mythologies du Nord, il les recouvre d'une vaste mélopée. Wagner est un lyrique dans le grand sens du mot, et il fait servir la musique à rendre ce lyrisme saisissable. 
      On a voulu enfermer les chercheurs de réalités dans le cercle étroit d'une étroite observation. Rien n'est plus faux. Je peux ne pas comprendre Racine, mais qu'importe si les sensations que ceux-ci éprouvent au ronronnement de vers élégants, je les ressens au souffle puissant de Gluck dans lphigénie? La tragédie, je la comprends à la manière des anciens: Sophocle et Euripide recouverts d'une mélopée. Devant la tragédie du dix-septième siècle, froide, prudente, glaciale, je m'enfuis au clapotement de vers réguliers, se balançant plus ennuyeusement qu'un battant de pendule. Avec quelques violons, je serais peut-être ému.        
      L'arrivée de Wagner en France fut précédée d'un murmure inquiétant, pareil à celui qui dans la nature annonce un orage redoutable ; il ne  faut pas une grande connaissance du terrain parisien pour flairer les dispositions d'un certain groupe qui croit régenter les sentiments de la foule. Une bonne partie des critiques était contre Wagner; également contre les gens de cinquante ans, qui s'étant battus jadis pour les tentatives romantiques musicales, échappaient fatalement par leur âge et la froideur de leurs aspirations à l'enthousiasme. Ils ne se rendaient pas compte que Wagner apportait ce que M. Berlioz avait peut-être entrevu et cherché. Contre Wagner se faisaient remarquer les faibles, les timides, ceux qui aiment les opinions toutes faites et ceux qui craignent la lutte. 
      Mais il y avait pour ce terrible groupe indiscipliné, inquiet, impossible à retenir, qu'aucune force ne saurait bâillonner et qui s'élance en avant, cherchant des horizons nouveaux, intrépide comme ces chacals de l'armée d'Italie qui la nuit, rampant sur le ventre, s'avançant toujours, tapis au fond d'un marais, ne craignent pas pour leur vie, escaladent des murailles, apparaissent tout à coup aux yeux de l'ennemi, et terrifient par leur audace les postes avancés. 
      La vie artistique est un long combat, et on y trouve, comme à la guerre, des êtres qui méprisent la vie et donnent leur sang pour s'emparer d'un drapeau, comme il y a des ambitieux qui ne vu cherchent qu'à tirer parti des efforts de ceux qui combattent, comme aussi il y a des troupes molles, de brillants cavaliers de parade, qui ne savent pas se battre, comme aussi il y a des fuyards, des lâches et des traîtres. C'est la loi de l'humanité : peu de forts, beaucoup de faibles. Et n'est-ce pas à Balzac, à Courbet et à Wagner qu'on peut appliquer cette pensée de Swift : « Lorsqu'un vrai génie apparaît dans le monde, vous le reconnaîtrez à ce signe que les sots sont tous ligués contre lui. » 

Juin 1860.

(A suivre)

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