Marc-André Hamelin Photo Fran Kaufman |
Le Bayerisches Staatsorchester placé sous la direction de Kirill Petrenko a donné hier soir son quatrième Concert d'Académie de la saison, avec un programme entièrement russe: des oeuvres de Scriabine (Rêverie), Medtner et Rachmaninov (Les danses symphoniques), avec en artiste invité le pianiste canadien Marc-André Hamelin qui interprétait le deuxième concerto pour piano de Nikolai Medtner.
La composition du programme de Kirill Petrenko a réuni des compositeurs qui ont marqué la fin du 19e et le début du 20e siècle russes. Nikolai Medtner et Serguei Rachmaninov étaient amis. Medtner avait dédié son Concerto pour piano n° 2, op. 50 en ut mineur à Rachmaninov qui en retour lui avait dédié son quatrième concerto pour piano. La composition des deux concertos fut concomitante: Rachmaninov acheva son quatrième concerto pendant l'été 1922 alors que Medtner en était à la phase d'élaboration de son deuxième concerto dont la conception et la composition s'étendent sur une longue période, entre 1921 et 1927. Scriabine, du même âge que Rachmaninov, l'avait côtoyé au Conservatoire de Moscou où ils terminèrent tous deux leurs études de piano en 1892.
Kirill Petrenko a opté pour une présentation des oeuvres dans l'ordre chronologique en commençant par Rêverie le court chef d'oeuvre orchestral qu'Alexander Scriabine composa en 1898, une miniature exquise, douce et nostalgique de quatre minutes qui connaît une pause surprenante, juste après un point d'orgue intense, peu avant la fin du morceau.
La logistique qui nécessite une sortie d'une partie de l'orchestre pour l'installation du piano et le réarrangement des pupitres provoque une solution de continuité un peu fâcheuse quoique nécessaire, mais l'on reste sous le charme de l'exécution précise, presque amoureuse, de cette petite pièce qui nous a emporté très loin dès ses premiers accords.
Rachmaninov et Medtner à la fin des années 30 |
Le concerto de Medtner est sans doute pour beaucoup une découverte pour laquelle Kirill Petreno a invité Marc-André Hamelin, l'extraordinaire pianiste canadien originaire de Montréal, lui-même également compositeur, un double emploi qu'il partage avec les trois compositeurs sélectionnés pour le concert. Mondialement reconnu pour sa virtuosité phénoménale et son immense répertoire, il pratique les classiques mais apprécie également beaucoup la découverte d'oeuvres moins connues. Spécialiste de Medtner, il en a enregistré l'intégrale des sonates pour piano (chez Hypérion). Dans le dernier Max-Joseph (le magazine du Théâtre national de Munich), Gregor Willmes évoque le jeu de Marc-André Hamelin en affirmant qu'il réunit la virtuosité d'un Horowitz, les tonalités dorées d'un Arthur Rubinstein et l'intelligence musicale d'un Alfred Brendel. Hamelin a une longue pratique du deuxième concerto de Medtner depuis fort longtemps, -notamment avec Dutoit ou Jurowski-, et nous fait partager son expérience avec une approche virtuose, généreuse et lumineuse de l'oeuvre, que Kirill Petrenko détaille avec sa précision rigoureuse désormais légendaire. L'oeuvre, écrite par un pianiste, témoigne d'un sûr métier et d'une connaissance approfondie des ressources d'un art dont Medtner affectionne les formes rythmiques, avec une ligne mélodique souple qui réunit des trouvailles savoureuses. Dans l'article cité, Gregor Willmes rappelle que Rachmaninov écrivait en 1921 qu'à ses yeux Medtner était le plus grand des compositeurs de son temps. Et de fait on reste stupéfiés par son imagination rythmique débridée en contraste avec les lignes harmoniques, la présence constante du piano servant de liant. La composition en trois mouvements, Toccata, Romanza et Divertimento, rend cependant une première audition fort aisée, d'autant que l'interprétation de l'orchestre et du pianiste et la maestria de la direction d'orchestre font baigner l'oeuvre dans une lumineuse clarté. Le pianiste et l'orchestre ont croulé sous les vivats!
En seconde partie, Kirill Petrenko et l'Orchestre d'Etat de Bavière ont interprété les Danses symphoniques, que Rachmaninov composa en 1940 et qu'il dédia à l'orchestre de Philadephie, que le compositeur qualifiait de meilleur orchestre du monde, et à son chef Eugène Ormandy. Kirill Petrenko confie dans le programme de la soirée (p.14) que la musique de Rachmaminov est à la base et au coeur de sa substance en tant que musicien. Petrenko emploie l'expression allemand mein Musikerdasein, mon Dasein de musicien, un être-là, un être-présent de musicien (-une notion accessible à tout philosophe en herbe!-). Rachmaninov est toujours une source à laquelle le Maestro dit revenir s'abreuver ou se régénérer: Sa musique m'est toujours une aide, une inspiration, en elle mon organisme musical trouve de nouvelles nourritures. Quel meilleur guide peut-on dès lors rêver pour voir et écouter l'exécution de cette oeuvre magistrale? Et il faut de fait voir Kirill Petrenko diriger d'une main ferme et d'un corps entièrement concentré la marche dramatique du premier mouvement que suit une partie plus calme et mélancolique que soulignent le hautbois et la clarinette, des instruments magistralement servis par, respectivement, Frederic Tardy et Markus Schön; puis le voir accompagner d'un corps souple le Tempo di Valse de l'Andante, qui connote la valse de Maurice Ravel. Et enfin, comme une élévation eucharistique, assister à la progression du Lento assai vers l'Allegro vivace d'un troisième mouvement très empreint de religieux.
Rachmaninov aurait écrit au bas de sa partition : I Thank Thee, Lord (Je rends grâce à Dieu). Sans doute le public munichois s'est-il hier soir uni à cette action de grâces, rendant de plus un hommage vibrant à Kirill Petrenko, à Marc-André Hamelin et au Bayerisches Staatsorchester pour une soirée musicale glorieuse qui atteint la perfection.
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