"Maurice Betz, né le 10 décembre 1898 et mort le 31 octobre 1946, est un écrivain et traducteur français d’auteurs de langue allemande, dont Frédéric Nietzsche, Rainer Maria Rilke et Thomas Mann.
Maurice Betz voit le jour en 1898 à Colmar, dans une famille bourgeoise protestante et francophile. Il est le fils unique de Georges Jules Betz (Wihr-en-Plaine, 1864 – Colmar, 1902), directeur d’agence à la Société Générale Alsacienne de Banque, et de Marie Minna Hemmerle (Horbourg, 1865 – Munster, 1940), une mère "excellente, mais impressionnable, émotive à l’excès". Le père décède alors que l'enfant n'a que trois ans: au contact de sa mère, le petit Maurice Betz développe cette sensibilité aiguë qui imprégnera dorénavant sa personnalité et son œuvre de poète et de romancier. Son oncle, Paul Betz, était par ailleurs un chirurgien renommé de l’hôpital de Colmar.
En 1904, dans une Alsace devenue depuis plus de trente ans une province du Reich wilhelminien, il entre au gymnasium de Colmar (aujourd’hui lycée Bartholdi) où les enseignements s’effectuent en allemand: Gustav Gneisse, le proviseur, un Allemand professeur de grec, est un pangermaniste farouche, ardent défenseur d’un enseignement exclusivement en allemand (Hansi, qui fréquenta quelques années avant Betz le lycée de Colmar et en conserva de mauvais souvenirs, caricatura Gneisse en 1909 sous les traits du fameux "Professor Knatschké"). Betz retracera sa scolarité tiraillée entre l’influence française et la tutelle germanique dans son premier grand roman, Rouge et Blanc (Albin Michel, 1923). Alors qu’il n’a que dix ans, Maurice Betz démontre déjà un goût assuré pour l’écriture : il compose des nouvelles en allemand qu’il broche lui-même et signe Maurice von Betz. Trois ans plus tard, il compose des poèmes. Comme nombre d’Alsaciens, il passe quotidiennement de l’allemand, la langue officielle du Reichsland d’Alsace, au français, la langue du cercle familial et des vraies racines. L'enfant partage au demeurant son existence entre les lectures de littérature française (Victor Hugo, Alexandre Dumas, Jules Verne, Pierre Loti, mais aussi Jean Richepin, Paul Bourget, Anatole France, etc.) et l'activité au grand air qu'il affectionnera toute sa vie durant (marche dans les Vosges, natation, ski, etc.).
En 1915, alors que la guerre vient d’éclater, Maurice Betz, qui ne veut pas se soumettre aux obligations militaires allemandes, franchit sans passeport la frontière suisse près de Constance. Sa mère l’accompagne à Berne, Genève et finalement Neuchâtel, où il fréquente désormais le gymnase puis la faculté des Lettres.[...] "
[Rouge et blanc...], consacré à la situation de l’Alsace sous la coupe wilhelminienne porte le même titre qu’un recueil de poèmes de l’Alsacien René Schickele (Weiß und Rot, 1920). Il a pour cadre le lycée de Colmar et retrace la trajectoire de deux lycéens, l’un Alsacien, l’autre Allemand, dont l’amitié se trouve mise à rude épreuve à la fois par la direction de l’école (le proviseur Neise est une réminiscence à peine masquée du fameux Gustav Gneisse), par les parents des deux familles, les mentalités revanchardes et les aléas de l’Histoire (le déclenchement de la Grande Guerre).[...]
(Source de cette première partie: Wikipedia à l'article Maurice Betz)
Pour les lecteurs wagnériens, à noter qu'on doit à Maurice Betz une traduction de La chanson des Niebelungen. (A l'Enseigne du Pot Cassé, 1944)
Notre extrait
Rouge et Blanc est à la fois une peinture légèrement satirique des mœurs alsaciennes et l étude de la répercussion dans l 'esprit d'un adolescent partagé entre les cultures germanique et et latine, du heurt de races et de civilisations qui est le drame éternel des "marches" franco-allemandes. Jacques, le protagoniste de famille francophile assiste pour la première fois en compagnie de son ami allemand à un drame wagnérien et, troublé, sous le charme, entre en confusion des sentiments.
C'était la première fois que Jacques allait assister à la représentation d'un drame musical.
Ils se trouvèrent dans la salle de spectacle avec une avance de presque une demi-heure.
Comme obéissant à un ordre secret, les galeries, puis les balcons, puis les loges se remplirent peu à peu, tandis que le rideau de fer montait lentement. Une harpe jaune s'allumait et s'éteignait, se rallumait au-dessus de l'orchestre qui débordait d'un bourdonnement de sons. L'obscurité se fit dans la salle.
La harpe brûlait, abeille d'or commandant à une ruche invisible Une silhouette surgit au-dessus de la cloison qui séparait des fauteuils l'orchestre enfoui dans son creux comme dans une boîte de résonance. Une lampe s'alluma. Une ombre immense s'étira sur le parterre, agita des bras terrifiés, se dégonfla, se résorba, pareille à un pantin de caoutchouc. La clarté de la lampe fut masquée.
Une vague prolongée de sons battit la scène, se fracassa, se fendilla en mille susurrements ténus de cigales.
Des coups de baguette saccadés, répétés, contenaient l'annonce d'un événement. Tout le monde se tut pour l'attendre. Soudain une courbe inquiète dessinée par un bras inséparable de son ombre le lâcha sur la salle. Les sons envahirent le théâtre de tous les côtés à la fois. Comme un bateau qui prend l'eau par mille fissures, il fut tout à coup inondé par un flot qui l'envelopper, de remous croissants. L'écho n'avait pas le temps de retentir qu'il était déjà rejoint par d'autres cascades. Comme un homme qui va se noyer, Jacques ferma les yeux et se cramponna aux bras de son fauteuil. Mais le son se vaporisait à ses oreilles. Une douceur angoissante lui caressait les veux et les tempes. Par ces surfaces sensibles, embouchures jusque-là ignorées, le flot pénétrait.
De temps à autre, il ouvrait des yeux étonnés sur ce chat épileptique, le chef d'orchestre noir qui dominait de ses gestes cette tempête, ce murmure, ce silence.
Le rideau se leva.
Peu à peu, Jacques se sentait emporté dans un mouvement vertigineux qui le soulevait sans qu'il bougeât de place. Une bête prodigieuse bondissait, dans sa poitrine. La musique pénétrait en lui si fortement qu'elle paraissait n'être plus au dehors qu'un silence étrange et prolongé.
Le printemps entrait soudain dans la salle ouvrant toutes les portes à la blancheur magique de son clair de lune Le chant d'amour assoupissait d'un sourire les tempêtes de l'hiver. Jacques penchait vers une douceur sans pareille son front où la sueur se glaçait. Des fleurs bourgeonnaient dans d'écran des clairières. Des oiseaux étouffaient des rires. Des forêts s'animaient sous la caresse imprécise des vents et la vague écumeuse des nuages, Livrés à l'ivresse, la sœur et le frère s'abîmaient dans le gouffre de la volupté.
Des applaudissements crépitèrent. Jacques, arraché à sa transe, poussa un soupir de soulagement. Mais l'entr'acte n'était qu'une, rêverie engourdie et lasse. Jacques ne pouvait pas parler. La tension de son esprit était trop forte pour qu'il pût s'en délivrer aussitôt..
Déjà l'orchestre attaquait les rythmes sauvages du chant des Walkyries. Ils fouettaient, Jacques au visage, comme les giboulées d'un printemps supraterrestre. Ses membres engourdis tremblaient de secousses électriques. Son corps s'épanouissait en pollen, en fleurs ouvertes. Un nœud se serrait à sa gorge, était brusquement coupé. Il tombait. Il voulait mourir. Il montait d'une démarche noble et lente vers une douceur cadencée, vers une grandeur divine.
« Wagner n'est pas un homme, c'est une maladie". Sans connaître le mot de-Nietzsche, Jacques subit en effet cette musique comme une mue, comme un mal d'adolescence.
On sauve les jeunes chiens de race à force de phosphate et d'huile de ricin. Jacques n'avait pour le fortifier dans sa vie sentimentale que les conseils de Lanzberg. Loin de la calmer, ils stimulaient sa fièvre.
Ils sortirent ensemble du théâtre, les oreilles bourdonnantes, la tète brisée par les rythmes, mais haletants de la même joie enfiévrée. En traversant le Champ de Mars, Lanzberg se mit à déclamer à haute voix la page de Heine sur les Nibelungen qu'il connaissait par cœur. Jacques écoutait avec ravissement. Ces paroles résonnaient comme un défi aux statues du général Rapp et de l'amiral Bruat, seuls habitants de la place sonore qu'ils traversaient d'un pas presse.
Jacques sentait que dans son dos les bronzes muets le regardaient avec un air de reproche. Etait-ce là l'ennemi ancestral contre lequel le général de l'Empire tirait son épée du fourreau dans un geste figé depuis toujours ? Etait-ce cela ? tout ce qu'il apprenait à chérir plus que lui-même. Mais les arbres de l'allée se refermaient sur la dernière statue et déjà le bruissement des feuilles lui ramenait un émoi voluptueux. La préfecture rouge qui aurait pu lui rappeler que l'Alsace -plus encore que la République - avait été belle sous l'Empire, lui semblait un Walhalla de rêve que la grille bleue reculait plus profondément dans la nuit. Tous les mirages de l'enfance venaient à la rescousse du charme qui le faisait pâlir.
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