Rechercher dans ce blog

dimanche 8 janvier 2017

Joseph Péladan et Richard Wagner (4): deux excentriques du costume.

Portrait du Sâr Mérodack Joséphin Peladan (1891), musée des beaux-arts d'Angers


C'est le journal parisien Le Gaulois du 6 septembre 1898 qui faisait le rapprochement entre le Sâr Péladan et Richard Wagner dans un article potinier  de son Bloc-notes parisien, en première page du quotidien. L'article est signé du pseudonyme mondain Tout-Paris.

Bloc-notes Parisien

LES EXCENTRIQUES DU COSTUME 

    On a découvert et publié les autographes que Wagner adressait à une demoiselle Bertha, sa couturière ordinaire [voir notre article]. Le maître de Bayreuth songeait autant  ses robes extraordinaires qu'à l'orchestration de Parsifal. On en blagua fort sa mémoire. Je pense qu'on eut tort. 11 n'est rien d'aussi charmant, pour un grand esprit qui se repose, que la grâce des chiffons. Le chatoiement des satins, l'éclat lourd des velours, le frissonnement léger des dentelles envolées, tout ce qui constitue les éléments compliqués d'une toilette, tout cela fascine des yeux artistes. Les joies féminines, devant la somptuosité des étoffes, un homme comme Wagner les peut connaître.
     Frivolité disent les lourdauds. Laissons-les dire. Ils sont incapables de comprendre que ce qu'ils considèrent comme de graves et solennels sujets de préoccupation n'a pas plus d'importance que la perfection d'un corsage ou la grâce d'une jupe. C'est qu'ils manquent de profondeur philosophique. Les femmes le savent bien, ces intuitives. Elles tendent leur intelligence et leur énergie vers ce but: une toilette parfaite. L'homme à courtes vues qui les en blâme, elles le considèrent comme un parfait imbécile, et elles ont joliment raison.

*****

     De tout temps, des artistes turent tentés par les costumes sortant de la mode banale. Wagner portait de belles robes extravagantes à Bayreuth. Précisément au dernier pèlerinage à Bayreuth, on remarqua un personnage étrangement attifé. Les journaux signalèrent avec stupeur ce jeune Français à tête sombre de Mage chaldéen, tout en satin mauve et velours à crevés. Doucement, ses amis effarés lui chantaient, comme à la veuve de Malbrough:

 Quittez vos habits roses,
Mironton, ton, ton, mirontame,
Quittez vos habits roses
Et vos satins brochés

     Cet excentrique était Péladan, l'écrivain de la Décadence latine. H y a une quinzaine, on le vit, à Saint-Gratien, en un costume aux couleurs tendres, tout enrubanné, qui était un compromis entre l'affublement moderne et la casaque du berger Watteau. 
     Les Parisiens en villégiature dans la cité de la princesse Mathilde s'amusèrent fort. Péladan, qu'à Paris on rencontre en des tenues fantaisistes qui n'ont rien de commun avec celles des mannequins pour tailors anglais, a pris le goût des modes originales chez son maître d'Aurévilly. Barbey a simplement conservé les modes de sa jeunesse. Il est resté dandy romantique. Quant aux toilettes bizarres des romantiques, elles sont devenues classiques.
     Laissons dans le magasin des anciens accessoires littéraires le fameux gilet sang-de-bœuf du bon Théo et le frac de Petrus Borel. Les Parnassiens ont à leur tour essayé de réagir contre la tenue de croque-morts de leurs contemporains.
     On vit un soir, sur le boulevard des Italiens, Villiers de l'Isle-Adam en costume d'Hamlet, satin et velours noirs avec la toque noire à créneaux, tout comme Mounet-Sully. Catulle Mendès arbora des pourpoints de page féodal et Coppée a conservé, dans son home, le veston vermillon et, à la ville, souvent, le sombrero noir du bandit d'Espagne.

*****

     C'est que, après la période hardie de la première jeunesse, tous ces messieurs n'osent plus guère exposer quelque insolent et élégant accoutrement aux regards des profanes, en pleine rue. Seul Péladan, du haut de son mépris pour le bourgeois, oserait se promener en Watteau.
     Carolus Duran réserve pour l'atelier ses vestons à la Velazquez, et Richepin ne porte sa simarre rouge que dans la solitude du cabinet de travail. Les temps sont changés. Jadis, il stupéfiait la rive gauche par l'audace de ses cravates versicolores. Maintenant, il se contente modestement de gilets de velours grenat, broché d'or. Ah! le gilet, c'est le vêtement avec lequel on peut se permettre toutes les fantaisies. On laisse le veston large ouvert, et le gilet apparaît dans toute sa splendeur. Croit-on devoir dissimuler ce témoignage de romantisme, crac et on boutonne le veston. Elémir Bourges, le romancier du Crépuscule des dieux, mettait jadis sa gloire dans les gilets de velours éclatant, parés de quelques milliers de boutons gros comme des têtes d'épingle. Ainsi faisaient ses amis Paul et Victor Margueritte,–le premier, romancier et mime; le second, poète, aujourd'hui dans un régiment de spahis.

Sapeck, le fumiste professionnel, inventait des costumes de compositeur tzigane, rouges, verts, bleus, jaunes, panachés, qui le faisaient flanquer au poste et provoquaient des émeutes.

C'est dans un mois, à peu près, qu'on pourra voir apparaître dans Paris quelques costumes d'une excentricité naïve. C'est l''époque où les petits Rubemprés arrivent de leurs villages, afin de conquérir la capitale. Qu'ils soient rapins ou rimeurs, il est de leur devoit de porter des oripeaux destinés autant à les montrer dans toute leur beauté qu'à fasciner les Parisiennes, et à "épater le bourgeois". Seulement, le mauvais goût provincial préside encore aux excentricités des petits Rubemprés. 

Au Luxembourg, les feuilles vont tomber: ils vont venir, les petits Rubemprés.

TOUT-PARIS

Portrait photographique de Joséphin Péladan, publié en frontispice de
Amphithéâtre des sciences mortes, Comment on devient artiste, Esthétique,
Paris, Chamuel, 1894. Coll. part.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire