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jeudi 22 décembre 2016

Les fulgurances de la Lady Macbeth d'Anna Netrebko à Munich.


En huit ans, le mise en scène de Martin Kušej a gardé toute sa puissance de provocation et les moins prudes d'entre nous sortent groggys d'un spectacle aussi contesté qu'abouti. Martin Kušej ponctue tout le spectacle d'images insoutenables, scènes d'accouplements orgiaques sous les lumières stromboscopiques, personnages nus déféquant et urinant pour la confection peut-être de brouets de sorcières, corps nus et ensanglantés suspendus par les pieds  comme dans un abattoir ou parois de plastique grisâtre pour délimiter une salle d'apparat,... La crudité des images est soulignée par  le remarquable travail des lumières de Reinhard Traub, avec la lumière crue des néons, des effets d'ombres chinoises ou des scènes nocturnes avec des éclairages qui découpent des silhouettes dans l'obscurité. 

Si le public se contient davantage qu'en 2008, c'est qu'il a été prévenu par la rumeur qui n'a cessé d'accompagner cette  production depuis sa première, et sans doute la ferveur que suscite la présence de monstres sacrés du chant d'opéra contribue-t-elle à modérer les huées. Et quoi? On vient entendre l'histoire horrifique de Macbeth, et pas un conte de fées. Le drame de Shakespeare pénètre dans les pires perfidies de l'âme humaine et on voudrait y assister sans que notre être en soit éclaboussé ad nauseam? Au théâtre du moins sait-on qu'il y a des codes, et on y arrive encore hébétés de l'actualité brûlante des attentats immondes et des guerres. En ces temps éhontés, Macbeth n'est pas une histoire, c'est un miroir. Peut-on huer un miroir? 

Les décors de Martin Zehetgruber sont d'une efficace simplicité. En lever de rideau, la scène est noyée sous un amoncellement de crânes humains surplombés d'un épais brouillard. Une tente à droite de l'avant-scène restera en place pendant toute la durée de l'action et ne sera démontée qu'à la fin, une fois toutes les prophéties réalisées. Cette tente est l'endroit de tous les maléfices, comme la figuration de l'innommable de l'âme humaine, c'est là que se perpétuent les crimes et c'est aussi la boîte de Pandore dont sortent toutes les calamités.  Pendant l'ouverture en sortent six enfants aux tignasses d'une blancheur oxygénée et aux regards entièrement dépourvus de compassion.  Martin Kušej  a choisi de substituer aux sorcières ces enfants tout droit sortis du Village des damnés un film qu'avait repris le cinéaste Martin Carpenter. En sort ensuite une femme dont le bas de la robe est entièrement ensanglanté. Le choeur qui s'installe en trébuchant sur l'agglomérat de  crânes semble subir une attaque massive d'insectes, moustiques ou puces, et les chanteurs se mettent à se gratter convulsivement jusqu'à s'arracher les vêtements. 

Ildebrando D'Arcangelo (Banco), Tölzer Knabenchor
Arrivent Macbeth et  Banco, dont le chant s'élève, puissant,  celui du très beau baryton de Franco Vassalo et de la basse sonore et impérieuse d'Ildobrando d'Arcangelo qui vont donner d'entame un magnifique duet.  Après une nouvelle prophétie du choeur apparaît Lady Macbeth sous un énorme lustre de cristal, élément essentiel du décor, symbole de pouvoir dans une salle grise aux parois faites de plastique tendu. D'emblée, dès sa première scène, Anna Netrebko, en rousse incandescente brûlant de tous les feux de l'enfer,  stupéfie par la consistance de sa présence scénique et l'ampleur de ses moyens vocaux. Sa déclamation lors de la lecture de la lettre est impeccable, la voix a une capacité de projection rarement atteinte et elle va se jouer des difficultés de la cavatine qui la prolonge, le "Vieni t'affretta", avec une maîtrise absolue, qui va soulever une vague d'applaudissements énorme. C'est à Munich que Netrebko a triomphé en 2014 dans sa prise du rôle, et ce succès ne s'est depuis lors plus démenti sur les scènes du monde où elle l'a interprété.

L'arrivée du Roi Duncan se fait de nuit avec des lumières de fond de scène qui font office de flambeaux. Le Roi en manteau de traîne rouge sera assassiné sous la tente sur laquelle son manteau a été étalé. Les enfants sorciers agitent des dagues. Dans la scène du doute et de l'effroi qui suit l' assassinat Franco Vassalo, qui chante le rôle à Munich  depuis la saison 2009-2010 va donner toute la mesure de son Macbeth nuancé, empreint d'hésitations et de couardise, second couteau incertain auquel répond la grandiose interprétation du "Regna il sono su tutti..." d'Anna Netrebko, un des plus beaux moments de la soirée.

Au final du premier acte, l'arrivée en scène de Yusif Eyvasov en Macduff attise la curiosité du public, tant il n'est pas facile d'être le mari de la Diva qu'il accompagne à présent sur de nombreuses scènes. Le ténor azerbaidjanais a une longue pratique verdienne et s'en sortira avec les honneurs, d'autant plus qu'il est en convalescence une jambe cassée il y a quelques semaines qui l'oblige à jouer avec une béquille. Il opte pour un chant nettement belcantiste, favorisant les effets, avec un timbre au métal assez curieux. Kusej cultive l'art du tableau pour la scène du deuil royal avec le choeur portant de longs gants noirs et des mouchoirs blancs pour écraser les larmes entourant une Lady Macbeth arborant des mines faussement éplorées avec des airs d'actrice, portant foulard noir terminé en écharpe et grandes lunettes de soleil, avec le chant puissant d'Anna Netrebko qui passe sans problème aucun et le choeur funèbre et l'orchestre. 

Au deuxième acte, le grand lustre de cristal a été descendu et Lady Macbeth s'en sert comme d'un balancier. Les choristes enlèvent et remettent par trois ou quatre fois des cagoules noires. Banco, assassiné et suspendu par les pieds meurt en laissant jaillir un jet d'urine, rappel peut-être de la semence émise par les pendus qui, fertilisant le sol au moment de la mort,  donne naissance aux mandragores. Sa descendance régnera, Macbeth et sa femme n'ayant pas d'héritiers, sans doute une des clés du drame. Au dernier tableau, les choeurs, habituellement vêtus de manière contemporaine, arborent des vêtements Renaissance (costumes de Werner Fritz), mais peut-être s'agit-il d'un bal costumé car on y boit du champagne dans des gobelets en plastique. Qu'importe puisque le public est suspendu aux lèvres d'Anna Netrebko dans l'air du brindisi, dans lequel elle vocalise brillamment  le "Si colmi il calice di vino eletto" avec des trilles délicieuses. Au tableau final, les enfants-sorciers
(Tölzer Knabenchor) apparaissent avec des masques de vieillards et les choeurs finissent en slips et en marcels. Des suivantes en rose chair entourent une Lady Macbeth enceinte, en nuisette, qui accouchera d'un fruit monstrueux. Le seul qui reste habillé sur scène est Macbeth, désormais royalement couronné.

Un figurant bien sympathique et parfaitement dressé
Les horreurs, la magie et les scènes scatologiques se succèdent au troisième acte, les choristes habillés de leurs seuls dessous: scènes fécales où les excréments sont recueillis par les enfants dans des casseroles en galvanisé; plus tard ces mêmes enfants  font s'écouler du sable ou de la poussière qui semble sortir magiquement de leurs mains, symbole d'impermanence et du temps qui s'écoule inexorablement; une tête décapitée roule sur scène et un chien de berger dressé vient s'en emparer pour la déchiqueter et l'emporter en coulisses; des jeunes filles aux perruques roses et aux seins nus galbés sortent de la tente et dégobillent de grandes feuilles d'un fin film plastique dont elles se revêtent comme d'imperméables; enfin, Macbeth couché sur le sol se met à léviter par un travail de trucage parfaitement réussi.

La fin du troisième acte nous donne  un des plus beaux tableaux d'ensemble de la représentation: sans doute un hôpital de campagne avec des costumes blancs et des corps nus blanchis et ensanglantés  qui s'élèvent vers les cintres suspendus par les pieds. Macduff est sorti de la tente tiré par un cordon blanc. Les costumes blancs vont céder la place aux capotes militaires et l'annonce du stratagème des branchages de  la forêt de Birnam.

 Franco Vassallo (Macbeth), Yusif Eyvazov (Macduff)
Les photos sont de Wilfried Hösl
Le dernier acte s'ouvre sur une Lady Macbeth cigarette au bec, chancelante, qui se passe des gants blancs pour recouvrir ses mains ensanglantées et finit par s' affaler sur un tas de crânes, hébétée, ivre ou droguée, prélude à la scène du somnambulisme magistralement interprétée par une Anna Netrebko glorieuse malgré l'obscurité dans laquelle la plonge le metteur en scène: la scène se termine éclairée par des lampes de poche, Lady Macbeth étant simplement silhouettée.  Lady Macbeth morte, la scène de la bataille finale est annoncée en ombres chinoises qui donnent à voir une multitude d'épées levées.  Le stratagème de Malcolm (excellent Dean Power)a réussi, la forêt de Birnam s'est avancée. Macduff tue Macbeth et  et Malcolm, le futur Roi, démantèle la tente aux maléfices. Les  choristes ôtent leurs capotes militaires et retrouvent leurs vêtements contemporains.

L'excellent Orchestre d'Etat de Bavière et les choeurs non mpoins excellents ont sans doute retrouvé avec bonheur la direction précise, élégante et sportive de Paolo Carignani, déjà au pupitre le mois dernier pour le Mefistofele de Boito. Toujours attentif au mariage des sources musicales du chant et des choeurs, Carignani, un verdien enthousiaste, est amateur de lignes musicales claires et s'attache à souligner les effets dramatiques d'une partition qui n'en manque pas. L'importance qu'il  attache à l'expressivité rencontre parfaitement le travail scénique et vocal des protagonistes. Anna Netrebko, Franco Vassallo, les choeurs, l'Orchestre et son chef ont été acclamés hier soir par une standing ovation, de celles que le public réserve aux plus grands.

Extrait d'une saison précédente: Anna Netrebko chante "La luce langue"

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