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lundi 28 novembre 2016

Vu de France en 1908: Les lettres de Richard Wagner à sa femme Minna



Un article paru dans le Journal des débats politiques et littéraires du le 19 août 1908 à Paris (page 3), dans sa section Lectures étrangères. Le journal évoque longuement la publication des lettres de Richard Wagner à sa femme Minna. Ces lettres publiées à Berlin et Leipzig en 1908 seront par la suite traduites en français par Maurice Rémon, qui traduira par ailleurs un ouvrage consacré à Cosima Wagner.

LECTURES ETRANGERES. 

Richard Wagner et sa première femme 

   On vient de publier à Leipzig les lettres échangées par Richard Wagner et sa première femme, Minna Planer. Minna Planer, troisième fille d'un mécanicien, était née à Dresde, probablement le 5 septembre 1809. ElIe épousa Richard Wagner le 21 novembre 1836. Elle était l'aînée de son mari; elle lui était intellectuellement très inférieure. Quand Richard Wagner l'épousa, contre la volonté de sa famille, elle appartenait à une troupe de comédiens errants. Cette union, comme on sait, fut traversée par de graves orages. Minna Wagner, comme dit Liszt, avait quelques vertus domestiques, mais elle n'en avait pas d'autres. "Elle avait de bonnes manières, faisait le ménage de Wagner et même sa cuisine." L'illustre compositeur ne trouva jamais auprès d'elle le réconfort, les encouragements dont cet illustre agité avait besoin dans les mauvais jours. Aussi montra-t-il parfois à sa première femme une certaine dureté; mais il se conduisit, en somme, à son égard, avec sincérité, avec droiture. La correspondance qui vient d'êtrepubliée éclaire d'un jour curieux cette crise domestique dans la vie du célèbre compositeur, crise sur laquelle on était, jusqu'à ce jour, inexactement renseigné. 
   L'union de Richard Wagner et de Minna Planer ne prit fin qu'en 1866, par la mort de Minna. Ce mariage avait duré trente ans. Le lien existant entre les époux n'était d'ailleurs plus, à cette époque, qu'un lien purement nominal. 
   Une des lettres les plus intéressantes de la collection récemment publiée est celle qui fut envoyée par Wagner à sa femme, de Paris, le 17 avril 1850. Wagner y fait remonter au séjour à Dresde l'origine de l'éloignement que Minna conçut peu à peu à son égard. Wagner avait refusé de se plier aux exigences de ses directeurs.
   Dans cette période décisive de ma vie, tous ceux qui m'observèrent exactement et cherchèrent à jne comprendre devront avouer que tout ce que je fis fut une conséquence rigoureusement nécessaire de ma nature artistique, à laquelle –en dépit de tous tes risques personnels- je restai fidèle. Je finis, non seulement comme artiste mais encore comme homme, par me révolter contre toutes les conditions injurieuses que nul ne pouvait supporter avec plus de douleur que moi, étant donné ma nature passionnée.. Mais tout cela paraîtrait absolument explicable -et par conséquent non blâmable à quiconque m'aurait suivi exactement, à quiconque m'aurait observé parvenant non point par à coups, mais pas après pas, au point ou je suis arrivé comme artiste et comme homme. On devrait alors reconnaître que je n'ai point procédé arbitrairement et par vanité, on devrait reconnaitre que j'ai beaucoup souffert. Ou m'aurait consolé, on m'aurait inspiré courage. Ma femme aurait fait tout cela, si elle avait voulu se donner la peine de me comprendre. Pour cela elle n'avait pas besoin de la sagesse qu'on puise dans les livres, mais seulement d'amour. Quand je rentrais à la maison, profondement déçu et énervé par une nouvelle offense, par un nouvel échec, qu'est-ce donc que me prodiguait alors ma femme au lieu de consolation, au lieu d'une sympathie réconfortante? Des reproches, encore des reproches, rien que des reproches Cette éternelle contrainte, sous laquelle je vivais déjà depuis si longtemps et qui ne me permit jamais de me laisser aller complètement sans déchaîner les scènes les plus violentes, pesait sur moi et consuma ma santé. Qu'est-ce que les soins corporels, que tu me prodigues à la vérité largement, en comparaison cte la tutelle spirituelle nécessaire à un homme do ma nervosité! Ma femme se rappeIle-t-elle qu'elle eut le courage, une certaine fois, de me soigner, alité et malade, pendant huit jours entiers, avec une complète froideur, sans me donner aucune marque d'amour, parce qu'elle ne pouvait me pardonner une explication violente que nous avions eue peu avant ma maladie!

   A citer encore la lettre suivante où l'opposition foncière des deux caractères, de Richard Wagner et de .Minna Planer, apparaît dans un jour tragique: 

   Eoute-moi, écrit Richard Wagner à Minna Planer, écoute-moi" Ce qu'il y a de complètement différent dans le fond de notre être est devenu un tourment constant pour toi comme pour moi, depuis le jour où nous nous connûmes, tourment tantôt effacé, tantôt aigu. Ce n'est pas à moi à te rappeler ces scènes innombrables qui se sont déroulées dès l'origine entre toi et moi, elles demeurent probablement plus vivantes encore dans ta mémoire que dans la mienne. Ce qui m'attachait naguère à toi si irrésistiblement, c'était l'amour, un amour qui dominait tous les contrastes, un amour que toi, de ton côté, tu ne partageais pas, du moins que tu ne partageais certainement pas avec la même intensité que moi. Au fond, c'est uniquement contrainte par la nécessité que tu cédais à mes instances en vue d'une réunion. Tu ressentais peut-être à mon égard tout ce que tu peux ressentir, mais ce qui importait le plus et ce qui fait qu'on supporte toute peine en souriant, l'amour sans condition, l'amour qui fait que. nous aimons un autre tel qu'il est et que nous l'aimons précisément parce qu'il est tel, cet amour tu ne pouvais le ressentir, car alors, déjà, tu ne me comprenais pas, tu estimais toujours que j'aurais dû être un autre que celui que je suis en réalité. Depuis notre réunion, après ce premier trouble dans notre mariage, le devoir seul guida ta conduite à mon égard. C'est le devoir qui t'a fait supporter avec moi tous les soucis que nous endurâmes a Paris. Dans ton avant-dernière lettre encore, tu mentionnes à propos de cette époque le devoir seulement et non l'amour. Si tu avais eu vraiment alors de l'amour pour moi, tu ne te serais jamais vantée d'avoir supporté ces souffrances; dans ta ferme croyance en moi et en ma personuatité, tu aurais reconnu en ces souffrances une nécessité à laquelle il convenait de te soumettre au nom d'un principe supérieur, on songeant uniquement à ce principe supérrieur. Tu eusses été heureuse dans la conscience de ce principe supérieur, tu en aurais oublié les souffrances banales. Mais toi, telle que tu es, tu n'as trouvé par la suite aucune compensation. Tu n'as de mémoire que pour les souffrances.


   Et voici quelques lignes d'une lettre plus amère encore:

  La colossale erreur que nous avons commise tous deux devait se révéler chaque jour davantage Toutes mes idées, tous mes sentiments sont restés pour toi une monstruosité. Tu avais horreur de mes écrits, bien que j'eusse cherché à te démontrer qu'ils me sont maintenant plus nécessaires que toute inutile composition d'opéra. Ma personnalité entière ne t'inspirait que de l'hostilité, de l'aversion. A chaque instant, hélas, presqu'àchaque mouvement je devais faire quelque chose qui t'était pénible. Cette fois encore tu ne me compris pas, pauvre que je suis! Tu demeures irréconciliable, cherchant l'honneur là où je dois presque reconnaître l'opprobre. Tu as honte des choses qui m'apportent les plus grandes satisfactions..

   La lettre se termine par ces mots:

   Qu'est-ce donc que peut être maintenant mon amour? Le désir seulement de te récompenser pour ta jeunesse inutilement dépensée avec moi, pour les tourments que tu as traversés avec moi, le désir de te rendre heureuse. Puis-je encore espérer pouvoir atteindre cela par la vie commune avec toi? C'est impossible!

   La lettre ci-dessus est la plus acrimonieuse que contienne la correspondance récemment publiée. Richard Wagner y exhale l'amertume amassée dans son cceur par quatorze ans de vie conjugale malheureuse. Une lettre écrite trois mois plus tard, le 4 mai 1850, montre le compositeur déjà rasséréné, presque réconcilié. Il parle du projet de séparation que les époux avaient formé d'un commun accord comme d'une solution désirable et honorable :« Tu recevras bientôt de Londres ce qui est nécessaire à ton existence.Veux-tu me réjouir profondément, crée-toi une existence aussi agréable que possible, fais-toi quelque part un petit jardin, élève un chien et des oiseaux et espère en l'avenir, » La. lettre se termine .par ces mots: "Porte-toi bien, chère Minna! créature durement éprouvée à qui je ne puis malheureusement fournir aucune compensation et que je dois peut-être, pour la guérir, abandonner moi-même. Porte-toi bien et, s'il t'est possible, pense à moi favorablement. Tu recevras de mes nouvelles et ne pouvons-nous même pas espérer un revoir? Salue de ma part tes parents et nos amis. Ne soyez point irrités de ce que je me sépare de vous. Porte-toi bien, porte-toi bien, chère et bonne Minna!"


Plus d'infos


Pour en savoir plus sur Sur Minna Planer, épouse Wagner, lire l'article que lui consacre Nicolas Capranne dans le Musée virtuel Richard Wagner.

Le second tome de la première édition en allemand se trouve en lecture gratuite sur archive,org.

Elles sont parues  en français chez NRF Gallimard.



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