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mercredi 9 novembre 2016

Richard Wagner à Paris: Les deux grenadiers sur un poème de Heinrich Heine



Heinrich Heine (1797 Dusseldorf –1856 Paris) émigra en France en 1831, attiré par la Révolution de Juillet. Dès son arrivée à Paris en 1839, Richard Wagner, qui connaissait l'oeuvre de Heine, chercha à prendre contact avec lui, comme il le fit avec Meyerbeer, espérant obtenir ses encouragements et son soutien  pour son établissement à Paris en tant que compositeur. Il composa alors la mélodie pour le poème Die Grenadiere de Heine traduit en français.

Le poème Die Grenadiere (ou Die beiden Grenadiere ), une romance à la date de composition incertaine , fut publié  une première fois en 1822 dans le recueil Gedichte puis en 1827 dans le recueil Buch der Lieder. On ne connaît pas la date exacte de l'écriture du texte par Heine, qui prétendit dans une lettre datée de 1851 l'avoir écrit en 1816, peut-être dans le but de se faire reconnaître comme l'initiateur de la légende napoléonienne, avant le chansonnier Pierre-Jean de Béranger ou le poète épique autrichien Joseph Christian von Zedlitz. La recherche évoque cependant plutôt la période 1819-1820. En voici le texte:

Die Grenadiere

Nach Frankreich zogen zwei Grenadier',
Die waren in Rußland gefangen.
Und als sie kamen ins deutsche Quartier,
Sie ließen die Köpfe hangen.
Da hörten sie beide die traurige Mär:
Daß Frankreich verloren gegangen,
Besiegt und zerschlagen das tapfere Heer,
 –Und der Kaiser, der Kaiser gefangen.
Da weinten zusammen die Grenadier’
Wohl ob der kläglichen Kunde.
Der eine sprach: Wie weh wird mir,
Wie brennt meine alte Wunde!
Der Andre sprach: das Lied ist aus,
Auch ich möcht mit dir sterben,
Doch hab’ ich Weib und Kind zu Haus,
Die ohne mich verderben.
Was scheert mich Weib, was scheert mich Kind,
Ich trage weit bess’res Verlangen;
Laß sie betteln gehn wenn sie hungrig sind, 
–Mein Kaiser, mein Kaiser gefangen!
Gewähr’ mir Bruder eine Bitt’:
Wenn ich jetzt sterben werde,
So nimm meine Leiche nach Frankreich mit,
Begrab’ mich in Frankreichs Erde.
Das Ehrenkreuz am rothen Band
Sollst du aufs Herz mir legen;
Die Flinte gieb mir in die Hand,
Und gürt’ mir um den Degen.
So will ich liegen und horchen still,
Wie eine Schildwacht, im Grabe,
Bis einst ich höre Kanonengebrüll,
Und wiehernder Rosse Getrabe.
Dann reitet mein Kaiser wohl über mein Grab,
Viel Schwerter klirren und blitzen;
Dann steig’ ich gewaffnet hervor aus dem Grab –
Den Kaiser, den Kaiser zu schützen.

Richard Wagner composa la musique des Deux grenadiers pendant l'hiver 1839-1840 (WWV 60). Dans son avant-propos aux Dix écrits de Richard Wagner (Fischbacher, 1898)Henri Silège évoque cette époque où Wagner  tire le diable par la queue et essaye d'accéder à la renommée en composant des mélodies sur des chansons françaises ou à thème français, un genre alors apprécié dans la bonne société de l'époque:

"Pendant l’hiver de 1839 à 1840, Wagner, avide de cette renommée qu’avaient remportée avec leurs mélodies Schubert et Mme Loïsa Puget, rechercha la célébrité que donne la société aristocratique. Il mit en musique Dors mon Enfant, l’Attente de Victor Hugo, les Deux Grenadiers de Henri Heine et Mignonne de Ronsard, qui parut dans la Gazette musicale. Le but qu’il visait, il ne put l’atteindre : les Duprez et les Rubini, « ces héros du chant si vantés », ces Capouls de l’époque, se soucièrent bien de révéler dans les salons mondains les compositions du naïf étranger ! Du reste, cette musique n’était point faite pour les « bouches en cœur, bouches à roulades, à points d’orgue pâmés », comme dirait M. Émile de Saint-Auban." (Source Gallica/BNF)

Le lied de Heine inspira plusieurs compositeurs au 19e siècle, Les deux compositions les plus connues sont celles de Richard Wagner et de Robert Schumann, qui composa sa mélodie six mois après Wagner (Op.49, 1). A ce propos, Dieter Fischer-Diskau cite une lettre de Wagner à Schumann dans l'ouvrage qu'il a consacré à l'oeuvre vocale du compositeur viennois (Robert Schumann. Das Vokalwerk. dtv/Bärenreiter, München/Kassel 1985, p.106).

„Ich höre, daß Sie die Heineschen Grenadiere componiert haben, und daß zum Schluß die ‚Marseillaise‘ darin vorkommt. Vorigen Winter habe ich sie auch componiert, und zum Schluß auch die ‚Marseillaise‘ angebracht. Das hat etwas zu bedeuten! Meine Grenadiere habe ich sogleich auf eine französische Übersetzung componiert, die ich mir hier machen ließ und mit der Heine zufrieden war. Sie wurde hie und da gesungen, und haben mir den Orden der Ehrenlegion und 20 000 fr jährliche Pension eingebracht, die ich direkt aus Louis Philippes Privatkasse beziehe.“

("J`entends dire que vous avez composé sur les Grenadiers de Heine, et qu'à la fin intervient la 'Marseillaise'. Je l'ai également composé l'hiver dernier, en introduisant également la Marseillaise à la fin. Cela doit  signifier quelque chose! J'ai composé mes Grenadiers directement à partir d'une traduction française, que j'ai fait faire ici et de laquelle  Heine fut content. Ils ont été chantés ici et là, et m'ont valu l'Ordre de la Légion d'honneur et 20000 francs de pension annuelle, que je perçois directement de la caisse privée de Louis-Philippe.") (Traduction Luc Roger)

Traduction française des Grenadiers 

Les deux Grenadiers

Longtemps captifs chez le Russe lointain,
Deux grenadiers retournaient vers la France;
Déjà leurs pieds touchent le sol germain;
Mais on leur dit: Pour vous plus d'espérance;
l'Europe a triomphé, vos braves ont vécu!
C'en est fait de la France, et de la grande armée!
Et rendant son épée,
l'Empereur est captif et vaincu!
Ils ont frémi; chacun d'eux sent tomber
des pleurs brülants sur sa mâle figure.
"Je suis bien mal" ... dit l'un, "je vois couler
des flots de sang de ma vieille blessure!"
"Tout est fini," dit l'autre, "ô, je voudrais mourir!
Mais au pays mes fils m'attendent, et leur mère,
qui mourrait de misère!
J'entends leur voix plaintive; il faut vivre et souffrir!"
"Femmes, enfants, que m'importe! Mon coeur
par un seul voeu tient encore à la terre.
Ils mendieront s'ils ont faim, l'Empereur,
il est captif, mon Empereur! ... ô frère,
écoute-moi, ... je meurs!
Aux rives que j'aimais,
rends du moins mon cadavre, et du fer de ta lance,
au soldat de la France
creuse un funèbre lit sous le soleil français!
Fixe à mon sein glacé par le trépas
la croix d'honneur que mon sang a gagnée;
dans le cercueil couche-moi l'arme au bras,
mets sous ma main la garde d'une épée;
de là je prêterai l'oreille au moindre bruit,
jusqu'au jour, où, tonnant sur la terre ébranlée,
l'écho de la mêlée
m'appellera du fond de l'éternelle nuit!
Peut-être bien qu'en ce choc meurtrier,
sous la mitraille et les feux de la bombe,
mn Empereur poussera son coursier
vers le gazon qui couvrira ma tombe.
Alors je sortirai du cerceuil, tout armé;
et sous les plis sacrés du drapeau tricolore,
j'irai défendre encore
la France et l'Empereur, l'Empereur bien aimé."

L'Almanach des Musiciens de l'avenir a publié la partition des Deux Grenadiers en 1867. Cet almanach a été mis en ligne sur le site Gallica de la BNF. En voici la première page:



On en trouve plusieurs interprétations sur youtube. Voici celle mise en ligne par AllClassical Monuments (sans attribution)

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