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jeudi 16 juin 2016

Rienzi 1869 dans l´Eclipse du 18 avril : la caricature de Gill et le panégyrique du cousin Jacques

12 jours après la première du Rienzi au Théâtre-Lyrique de Paris, Richard Wagner faisait la une du journal satirique L'Eclipse avec une caricature de Gill qui pourrait donner à croire que ce journal hebdomadaire était anti--wagnérien. Cette supposition est aussitôt contredite par l'article du Cousin Jacques en page 2.  Ce Cousin Jacques est l´un des pseudonymes d´Ernest d´Hervilly, qui appartenait à l´entourage de Gill.

Sans doute Gill a-t-il voulu représenter l'oreille du public dont les notes de Wagner percent le tympan, mais, à la page suivante le Cousin Jacques clame haut et fort tout admirer de Wagner.La caricature de Gill est connue de tous les wagnériens, le texte du cousin Jacques beaucoup moins.... 








LA MUSIQUE DE RICHARD WAGNER

On a surnommé les puissantes manifestations du génie particulier de Richard Wagner la Musique de l'avenir. 

Le public de l'Eclipse est trop intelligent pour avoir pris au pied de la lettre cette désignation temporaire du talent audacieux de ce grand artiste. Je n'ai donc pas besoin de lui affirmer que la musique de Richard Wagner n'est pas, comme une ardente opposition, dont le chant unique est à Paris, a essayé de le faire croire à la foule ignorante, un art nouveau de combiner les sons de façon à produire, par leur seul secours, d'une manière plus ou moins harmonieuse, tous les actes, grands ou mesquins, de la vie humaine. Non, l'auteur de Lohengrin n'a jamais eu l'intention de rendre musicalement les faits et gestes d'un monsieur qui monte en chemin de fer, par exemple.

Il est triste, entre parenthèses, de penser que des gens, entraînés par l'exemple, aient, sans avoir entendu cinq notes du musicien allemand, propagé ce bruit odieux.

Richard Wagner n'a jamais eu non plus l'intention de faire de la musique imitative ; il rugit de colère quand la malveillance déclare que sa préoccupation constante est d'exprimer, littéralement en musique, les bruits de la terre.

C'est l'impression, terrible ou charmante de l'ensemble des voix de la nature et de l'humanité sur l'âme de l'homme qu'il essaye de rendre, pour charmer ou terrifier l'homme à son tour qui rêve et se souvient.

Il y est arrivé, violant des conventions séculaires, admises et respectées par l'indéracinable routine.

L'Univers, c'est une symphonie gigantesque ; les chants particuliers des choses et des êtres qui y vivent un jour, se mêlent et se perdent dans l'énorme concert ; il ne faut donc pas leur donner une importance qu'ils n'ont point. Le duo d'Atala et de Chactas, sous les ombrages vénérables des forêts américaines, est exquis, dans le livre, mais qu'il serait banal et mesquin sur uns scène lyrique, séparé des bruissements, des soupirs, des orages du vent dans les cimes. Le choeur et l'orchestre priment les dialogues musicaux.

Non, encore une fois, Richard Wagner ne veut pas faire entendre (encore un exemple) le bruit du marteau sur l'enclume du forgeron d'en face, tour de force vulgaire exécuté par d'autres pauvres gens qui noircissent des portées comme lui ; mais il saura peindre d'une façon étrange et neuve le retentissement profond, mystérieux, du travail souterrain des Cyclopes, dans les antres de l'Etna, et la stupeur des foules antiques, quand elles écoutaient les borborygmes inconnus du volcan où s'agitaient, formidables, les esclaves d'un dieu. 

La tempête du Vaisseau fantôme, de Richard Wagner, ne donne pas seulement l'idée complexe du mouvement affreux des grandes masses d'eau, du vent aigre ou profond, des cris sourds ou tout à coup aigus que poussent les mâts qui s'entrechoquent, les bordages qui craquent, les poulies qui gémissent, et des voix étranges et rauques de l'équipage maudit ; elle déroule aussi aux oreilles de la pensée toutes les horreurs, tout le tumulte désordonné, tout le désespoir d'un cataclysme surnaturel. Ce n'est pas un phénomène terrestre dont l'image vient frapper l'esprit, c'est l'effet de la colère divine provoquée par l'homme et rompant l'équilibre des éléments.

Wagner est un créateur ; il évoque et pour moi c'est créer, des sensations inconnues, délicates ou violentes, et c'est ce que je demande à l'artiste.

Je ne suis qu'un "amateur du Danube". Je dis ce que je pense, naïvement, sans parti-pris, avec franchise. J'admire tout dans Wagner surtout.

Dans ces défaillances (défaillances par rapport à ce qu'on connait de l'art ancien et de la musique de Wagner), je devine l'effort du géant qui cherche, obstinément, la formule définitive de la vérité ; il passe à côté parfois, la dépasse souvent encore, mais ne se lasse point, et lutte sans cesse, comme Aristée essayant d'étreindre enfin l'insaisissable Protée.

Or, l'effort d'un artiste véritable, sous quelque aspect qu'il soit présenté, est toujours à respecter, à encourager, à applaudir.

On a bien dit (je ne veux faire aucun rapprochement néanmoins) qu'Homère s'endormait de temps en temps ! ce reproche railleur diminue-t-il la puissance de l'Illiade ?


Wagner ne s'endort pas, lui,il travaille toujours.

On vient de jouer Rienzi, une oeuvre de jeunesse. Mais quelle preuve plus superbe de la qualité de génie de Wagner, affirmé depuis longtemps en Europe (la France exceptée) pouvait-on nous donner ? C'est un jeune homme qui a fait cette oeuvre grandiose et nous l'acclamons ! Quelle doit-être alors la valeur des grandes épopées lyriques de son âge fort ? Rienzi était une promesse, un balbutiement du berceau musical, et tout le monde en admire aujourd'hui les merveilleuses tendances. Pouvait-on même prévoir et désirer les splendeurs, encore inconnues à Paris, des Maîtres Chanteurs, de Tristan et Iseut, du Lohengrin, du Vaisseau-Fantôme, etc.

Mais nous sommes fort peu les amis des artistes réellement dignes de ce nom prostitué dans notre chère patrie. Ils effraient. Leur grandeur nous amoindrit.

L'homme dit toujours : Oh ! que cette montagne est haute ; qu'elle est rude à gravir. Il dit rarement : Dieu que je suis petit et faible.

Et puis, il y a les rivaux, qui savent, qui prétendent connaître les points faibles. Ils exagèrent leurs trouvailles, et les moutons de Panurge qui broutent docilement leur parole, composent à la fin ces foules aveuglément hostiles, devant la résistance desquelles meurent de chagrin les grands génies incompris.

Mais Richard Wagner vivra. J'ai dit plus haut que c'était un créateur. Je le répète. Car, depuis Rienzi, il a pétri le public à son image. On l'écoute avec recueillement. La musique de l'avenir devient la Musique du présent.

Le Cousin Jacques

3 commentaires:

  1. Publié le 22 juillet 2015 !
    http://laviewagnerienne.canalblog.com/archives/2015/07/22/32379147.html

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  2. Publié depuis 1892 dans le remarquable ouvrage de Grand-Carteret!

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    1. Le Cousin Jacques est l´un des pseudonymes d´Ernest d´Hervilly, qui appartient à l´entourage de Gill. L´article référencé du blog 'La vie wagnérienne' fait à mon sens erreur en attribuant ce pseudonyme à Gill.

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