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vendredi 25 mars 2016

Un nouveau Ballo in maschera à l´opéra de Munich dans la mise en scène fascinante de Johannes Erath


Un ballo in maschera pose la question du destin et y répond par l´affirmative. Tout est écrit d´avance, le personnage de la devineresse Ulrica et la vérificabilité de la réalisation de ses prédictions confirment la croyance dans le destin, le « mektoub », la trajectoire tracée par un Etre ou des forces supérieures pour la vie de chacun. 

Le metteur en scène Johannes Erath, qui fait ses débuts au Bayerische Staatsoper, présente le grand avantage d´appartenir au sérail du monde musical: violoniste de formation, il travaille comme musicien pour le Wiener Volksoper avant de devenir, dès 2006, metteur en scène d´opéra, travaillant essentiellement pour les opéras de Hambourg et de Francfort, un parcours qui lui donne une connaissance intime et un regard pénétrant des oeuvres sur lesquelles il travaille ainsi que le sens d´une collaboration rapprochée  avec l´orchestre, les choeurs et les chanteurs. C´est la musique qui conduit ce créateur à la conception de l´imagerie de ses productions. La première d´Un ballo in maschera à Munich est une seconde pour Johannes Erath, qui a déjà monté une autre mise en scène de l´oeuvre il y a neuf ans à Bremerhaven.

Sa lecture du livret d´Antonio Somma le conduit à accorder une place clé au personnage d´Ulrica, et ce dès l´ouverture. Comme dans un rêve que ferait Riccardo,  au travers des grands voiles du rideau circulaire d´avant-scène sur lesquels est projeté l´extrait un film des années 20 ou 30, une scène de valse lente exécutée lors d´un bal d´élégants, on voit Ulrica lui tendre un revolver dont il s´empare. L´ombre d´Ulrica plane sur toute la production,  jusqu´à la scène finale, qui voit sa prophétie réalisée, où la sorcière satanique observe la scène depuis l´escalier circulaire. Johannes Erath et sa costumière Gesine Völlm ont accentué le côté sculptural de la mezzo-soprano bavaroise Okka Von der Damerau en la revêtant de la robe bustier noire à traîne et en la parant de la longue coiffure d´Anita Ekberg dans la fameuse scène de la Fontana di Trevi dans la Dolce vita de Federico Fellini. Quant au thème du revolver, il  apparaît comme un fil rouge de la mise en scène: on voit Riccardo introduire une balle dans le barillet et tenter le sort en s´imposant en solitaire la folie de la roulette russe. Plus avant, la double image géante d´un revolver vient s´imprimer en tête-bêche sur des écrans de fond de scène, et les revolvers des conjurés et celui, fatal, de Renato viennent terminer le fil. 

Johannes Erath livre une lecture plus psychologique et onirique qu´historique d´un récit qu´il inscrit dans la haute société sans doute américaine, -version de Boston oblige-, de la fin des  années 20 et du début des années trente, à l´exception de la robe d´Ulrica, comme en témoignent les superbes costumes de Gesine Völlm, les fracs et les chapeaux claques des habits de soirées, et les robes charleston du bal masqué, ou les robes de chambre de Renato et de Riccardo . Dans la logique d´un imaginaire issu du cerveau d´un Riccardo rêvant dans son lit, il opte pour l´unité de lieu avec un décor unique conçu par Heike Scheele: une scène circularisée au carrelage dont les marbres forment un dessin mouvant, entourée d´un rideau de scène fait de fins voilages, qui se peut se déplacer ou s´ouvrir au gré des scènes et bordée d´un grand escalier circulaire qui à l´une de ses extrémités s´enfonce dans la scène et à l´autre va se perdre dans les combles, et portant en son centre un large lit entouré de deux tables de chevet portant des luminaires aux globes d´une opale laiteuse. Erath organise un monde pour partie onirique en noir et blanc  qui circule en spirale autour du lit central.. Une série de thèmes traversent l´opéra et le structurent comme autant de leitmotivs: entre autres mais particulièrement remarquables le cinéma et la ville américaine nocturne des années 20 et 30 (excellentes projections vidéo de Lea Heutelbeck), le cercle et la spirale de l´espace scénique, du carrelage, du grand escalier et du rideau de voiles, la sphéricité des globes lumineux qui deviennent lorsqu´Oscar s´ empare de l´un d´entre eux la boule de cristal de la voyante, la circularité du récit ourobourique avec la présence d´Ulrica en début et fin d´opéra, et enfin le thème du double. Les personnages sont doublés et les scènes sont dupliquées en effet inversé de miroir: Riccardo se démultiplie en un pantin qui au fil de l´action change trois fois de costume (un pantin de ventriloque manipulé par Oscar et par Riccardo apparaît en robe de chambre au début du premier acte, en costume de marin pêcheur au deuxième tableau, puis en habit de soirée pour le final), Amelia reçoit elle aussi un double joué par une actrice de même stature et de même coiffure accompagnée de l´enfant, ce qui fat apparaître la mère aux cotés de l´amante et de l´épouse au coeur partagé; le plafond répète les scènes comme un immense miroir, sauf au dernier acte où le reflet du lit porte un double de Riccardo figé car déjà assassiné. Dans la triangulation amoureuse, la duplicité est évidente dans le chef de  Riccardo et d´Amelia, ce qui n´est pas le cas de Renato qui, ami et époux à la fidélité irréprochable, a pour double un Renato jeune et heureux portant sa jeune épouse vers la chambre conjugale. Riccardo est certes le personnage le plus complexe et le plus ambigu de cette mise en scène: s´il se dit à l´abri du danger entouré du rempart de ses fidèles, il est cependant suicidaire et téméraire. Il finit emporté par un destin qu´Ulrica a déjà dévoilé que symbolise encore le bas de sa robe de chambre, décoré d´un imprimé de la Grande Vague de Kanawaga d´Hokusai, une image de l´impermanence du monde où l´artiste saisit l’instant où l´énorme vague est sur le point d’engloutir les frêles esquifs d´infortunés pêcheurs  dont l’existence éphémère est soumise au bon vouloir de la nature toute puissante. L´image convient particulièrement à Riccardo qui se déguise en marin et que son ami est sur le point d´assassiner. Sic transit gloria mundi!

Okka von der Damerau (Ulrica)

Cette mise en scène si intelligente est portée par un plateau exceptionnel et un orchestre et des choeurs dont l´excellence éprouvée est encore enflammée par la présence au pupitre d´un Zubin Mehta grandiose, l´un des plus grands chefs de la planète, qui a de longues années présidé aux destinées de la Maison et que le public accueille avec une ovation royale. Johannes Erath, metteur en scène musicien qui place la musique avant toute chose, ne pouvait qu´être attentif aux besoins de l´orchestre et des chanteurs, notamment dans leur placement sur scène, une attention qui fait les grands spectacles. On l´a vu, le metteur en scène donne une place Privilégiée au personnage d´Ulrica, porté par une des étoiles montantes de la troupe du Bayerische Staatsoper, Okka Von der Damerau, dont le talent confirmé reçoit ici le couronnement de son premier grand rôle. Elle habite le personnage d´Ulrica de manière impressionnante le parant d´un mezzo chaleureux de wagnérienne, avec une substance riche, proche du contralto (Grimberge, fille du Rhin et Norne souvent célébrée, elle interprétera bientôt Madgadalene dans les Meistersinger).  Lors de la soirée du 23 mars, la sublime Anja Harteros, souffrante, a tenu à jouer Amelia, laissant rapidement le chant à Elena Pankratova, opportunément à Munich pour y chanter la Princesse Turandot, qui a interprété la partie en avant-scène. La soprano, qui à l´aube de sa carrière a chanté le rôle d´Amelia à Nuremberg le reprendra encore cet été au Festival de Savonnlinna. La déception de ne pouvoir écouter l´interprétation d´Anja Harteros a été largement compensée par la joie d´entendre les fulgurances de l´artiste russe. Piotr Beczala se prête avec une grande plasticité aux diverses facettes du personnage de Riccardo, le passage de la légèreté du début de l´opéra aux accents nettement plus élégiaques du duo avec Amelia ou dramatiques de la fin constituant une des difficultés du rôle. La pétulante Sofia Fomina donne un Oscar pétillant comme un champagne bien frappé avec une vivacité ourlée de pétulance et une voix qui convient parfaitement au rôle. Enfin le roumain George Petean donne un formidable Renato, empreint de loyauté et de noblesse morale.

Il se dit qu´un dvd viendra éterniser cette belle nouvelle production du Bayerische Staatsoper.

Crédit photographique: Wilfried Hösl

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