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vendredi 5 février 2016

Opération South Pole réussie à l´Opéra de Munich

L´expédition anglaise (à gauche) et norvégienne (à gauche)
Pour un coup d´essai, c´est un coup de maître. South Pole, le premier opéra pour grande scène du jeune compositeur tchèque Mirsoslav Srnka le fait d´emblée entrer dans la cour des grands compositeurs contemporains. Le compositeur et son librettiste ont réalisé l´exploit de parvenir à tenir le public en haleine pendant deux bonnes heures avec une déferlante de musiques atonales. L´opéra de Srnka contribue à  donner des lettres de noblesse à l´opéra contemporain!

Cette réussite est due à la convergence de plusieurs facteurs dont le premier est le pari du Directeur général (Surintendant) du Bayerische Staatsoper, Nikolaus Bachler, et de ses équipes de placer la création mondiale d´un opéra contemporain au coeur de la saison, un pari auquel les plus grandes maisons d´opéra ne se risquent pas, ou si peu. Le battage médiatique et la série d´événements organisés autour de la création de cet opéra ont été orchestrés de main de maître: expositions, films thématiques, conférences, installations, publications, rencontres avec les artistes, et jusqu'à un blog consacré a l´opéra, tous les champs de la communication ont été couverts pour contribuer à la réussite de cette création. L´Opéra de Munich s´est acquis la connivence  d´ARTE qui  propose l´opéra tout un mois durant sur sa télévision par internet, offrant ainsi la possibilité au plus grand nombre de découvrir cette oeuvre nouvelle. C´est ensuite aussi le fait du Directeur général de la musique, Kirill Petrenko, qui a sans doute bénéficié d´un contact privilégíé avec le compositeur, qui s´est mis corps et âme au service de ces nouvelles musiques et qui a su en communiquer la substantifique moelle  à l´excellentissime Orchestre d´Etat de Bavière. C´est aussi la qualité des chanteurs de premier plan, natifs anglophones pour la plupart, à l´exception marquée de Rolando Villazon (Scott) qui a su se jouer des difficultés d´un livret en anglais. C´est l ´intelligence du livret fascinant, palpitant même, de Tom Holloway qui s´est concentré sur la psychologie des personnages et la dynamique interne des groupes confrontés aux difficultés physiques et psychiques de l´avancée dans une terra incognita extrêmement hostile. C´est enfin l´évidence scénique d´une mise en scène d´une efficacité redoutable et d´un décor dépouillé minimaliste: Hans Neuenfels a produit un chef d´oeuvre du genre, il a également conçu le très beau décor en association avec Katrin Connan.

Tom Holloway et Miroslav Srnka ont travaillé en étroite collaboration autour d´un idée certes simple mais très parlante  et dynamique. Au départ de la compétition entre les deux explorateurs pour la conquête du Pôle Sud, et quoique, on le sait, leurs expéditions aient emprunté des itinéraires totalement différents, les deux créateurs ont imaginé un double opéra, comme ils le soulignent d´ailleurs dans le sous-titre, Eine Doppeloper in zwei Teilen, Un opéra double en deux parties. Cet opéra double consiste à diviser la scène en deux partie égales et à faire jouer tant les acteurs que la musique par un jeu de miroir qui insiste à la fois sur les parallélismes et sur les oppositions, en général de manière synchrone, sauf pour les moments de la victoire de l´équipe norvégienne et ceux de la défaite de l´équipe anglaise, pour lesquels toute la scène est occupée tour à tour par une équipe unique.

Rolando Villazón (Robert Falcon Scott),
Thomas Hampson (Roald Amundsen)
Le plateau, d´une blancheur polaire, est délimité en deux zones d´action avec des ouvertures vers les coulisses et une bordure médiane. L´écran de fond de scène porte un grand rectangle traversé de diagonales dont le centre est occupé par un sautoir noir, une croix de Saint André, qui va occuper le spectateur curieux d´interprétation. Le rectangle a la forme d´une enveloppe et évoque la thématique de la lettre qui intervient à de nombreuses reprises dans le livret, comme la lettre qu´Amundsen laisse au Pôle Sud à l´attention de Scott ou la lettre d´un des membres de l´expédition norvégienne, qui brave l´interdit de l´écrit imposé par son capitaine. Le sautoir noir serait alors celui du deuil, celui de la lettre de faire-part. Ou ce sautoir indique-t-il la direction du sud ultime situé par 90° de latitude sud, un chiffre que les deux équipes approcheront de manière incantatoire en en déclinant les dernières minutes et secondes, opération qu´un des membres de l´expédition anglaise reprendra pendant son agonie. Ce rectangle peut encore évoquer le toit d´une tente, et sans doute fécondera-t-il encore d´autres imaginaires dont je lirais volontiers le commentaire. Sous le rectangle, deux panneaux, qui en s´escamotant laissent voir les animaux de trait, les chiens choisis par les Norvégiens et les poneys qu´avaient à tort préféré les Anglais. Ce décor a minima permet que s´installe l´illusion voulue de l´opéra double et l´installation de la tension dramatique par parallélismes et oppositions. Parallélismes du nombre d´abord: cinq barytons qui incarnent l´expédition norvégienne en regard des cinq ténors de l´expédition anglaise, avec des effets vocaux qui donnent parfois l´impression du chant choral et de l´oratorio, et des nuances dans les rapprochements lorsque les barytons se portent vers l´aigu et les ténors vers le grave. Deux chefs aux personnalités ici opposées, deux groupes de quatre membres  et deux groupes d´animaux, auxquels viennent s´ajouter la matérialisation de deux femmes, produits de l´imagination des deux chefs, l´épouse de Scott, chantée par l´excellente Tara Erraught, et la Landlady, une femme mariée qui fut l´amante d´Amundsen, interprétée par une éblouissante Mojca Erdmann. Parallélismes sonores que matérialisent aussi la présence de deux pianos et deux grammophones (dénommé carusophone par l´expédition anglaise), Tels sont les ingrédients de la représentation de ces expéditions qui sont aussi la base d´un des mythes fondateurs du vingtième siècle. L´opéra double d´Holloway et Srnka, s´il convoque l´histoire, se double aussi de la dimension onirique et mythique que dans le cas de ces expéditions l´histoire véhicule nécessairement par le coté quasi surhumain de l´exploit, de la lutte pour la survie dans une terre inconnue et hostile à la vie humaine, où le cri ou le vol d´un oiseau prend des allures post-diluviennes. Parallélismes et antinomies: Scott encourage à l´écriture, Amundsen (Thomas Hampson, impérial dans le rôle) l´interdit, Scott est un être déchiré qui fait preuve d´ humanité et est pris de remords, Amundsen semble voué à sa propre gloire, veut exercer un contrôle total sur ses hommes de qui il exige une obéissance absolue et ne fait jamais montre de ses sentiments, et surtout pas de sa joie, dont ses hommes se demandent s´il en est capable. La deuxième partie s´articule dans l´opposition entre la défaite et la descente aux enfers des Anglais soumis á d´épouvantables conditions météorologiques et la joie, les jeux et l´exultation des Norvégiens. Au vu du personnage d´Amundsen, tel que le campe le livret d´Holloway, la dédicace finale du Norvégien m´a semblé plus formelle que crédible.

Peut-on écrire la partition des vents, du blizzard et des tempêtes ou, dans le cas d´Amundsen plus chanceux, de la peur de la tempête et de la chance d´un temps plus clément. Rimbaud a su dire la naissance latente de la voyelle blanche: "E, candeur des vapeurs et des tentes, lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles". C´est en musique de Miroslav Srnka s´y applique en rendant l´amplification du son qu´évoquent les explorateurs de ces espaces de l´illimité et de la démesure. Il répond à des koans d´un nouveau genre: le froid extrême a-t-il un son? et quel est le son du désespoir de celui qui se meurt d´un pied gangrené? La musique antarctique de Srnka évoque un univers qui dépasse l´humain auquel se confrontent les deux expéditions dont les sons empreints d´humanité nous semblent bien plus proches, comme lorsque, au tout début de la seconde partie, les chants de Oates (Dean Power) et de Johansen (Tim Kuypers), seuls en scène, évoquent des lettres à leurs mères, avec leurs voix qui se mêlent comme pour un Stabat filius, dolorosus, une lettre que, côté norvégien, Amundsen ne tolérera pas et qu´ajoutant le poignard au malheur, il déchirera. Subjuguant.

Au Bayerische Staatsoper de Munich jusqu´au  11 février, quelques cartes restantes. L´opéra peut en outre se voir sur  ARTE Concert en ligne jusqu´au 1er mars 2016

Crédit photographique: Wilfried Hösl

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