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vendredi 22 août 2014

Kaspar Hauser, le nouvel opéra de Dominik Wilgenbus sur des musiques de Schubert, au Château de Nymphenburg

Elégante première très attendue hier soir dans le beau cadre de la salle Hubertus du Château de Nymphenburg: l'Opéra de chambre de Munich (Kammeroper-Muenchen) a interprété pour la première fois la nouvelle création de Dominik Wilgenbus et Alexander Krampe, Kaspar Hauser.

Les deux hommes travaillent de concert depuis 2003 et leurs entreprises ont toujours été couronnées de succès. Aussi leurs nouvelles créations sont-elles très attendues par le public munichois. Wilgenbus et Krampe ont adapté plusieurs opéras pour orchestre de chambre, avec des mises en scène d'une inventivité et d'une créativité inattendues et très rafraîchissantes. Leurs pasticcios opératiques  des musiques de Haydn et de Mozart avaient remporté un grand succès. Cet été, les deux compères ont fait se rencontrer l'histoire de Kaspar Hauser avec la musique de Schubert, dans un arrangement en pasticcio conçu par Alexander Krampe.

Histoire de Kaspar Hauser

Dessin de Johann Georg Laminit
Kaspar Hauser, un orphelin sauvage, était apparu en place publique de Nuremberg en mai 1828,  sortant d'on ne sait où, épuisé, titubant, gesticulant et grognant de façon incompréhensible. Son histoire, dont l'énigme n'a toujours pas été résolue, avait passionné l'Allemagne et jusqu'au monde entier. Il avait été recueilli et protégé par diverses autorités:  le maire de Nuremberg le recueillit, il fut ensuite l'objet d'une tentative d'éducation par  le  professeur et philosophe Georg Friedrich Daumer, puis, attaqué à diverses reprises, il reçut une protection policière du Roi Louis Ier de Bavière. Il succombera à l'âge de 21 ans des suites d'une dernière attaque. On s'interrogea sur ses origines, jusqu'à se demander s'il n'aurait pas été le fils de Charles II de Bade et de son épouse Stéphanie de Beauharnais dont la famille aurait essayé de se débarrasser pour hériter de Charles. On se demanda aussi si Kaspar n'était pas simplement un simulateur et on l'accusa de mensonge. Une autre hypotyhèse est que l'enfant aurait pu faire l'objet d'une expérience cruelle: une question qui agita beaucoup les 17ème et 18ème siècles  était de savoir si un enfant éloigné de tout contact humain développerait ou non une sorte de langage et quelle serait en ce cas la « langue primale » qui se dégagerait ainsi.  Plusieurs cas d'enfants, surnommés "enfants sauvages", soulevèrent cette question de l'acquisition du langage. L'Europe entière se passionna pour le destin de l'orphelin, qui devint quasi mythique dans la mémoire collective. Preuve en est que Paul Verlaine composa un poème à partir de son histoire, environ 50 ans après la mort de Kaspar Hauser, qu'il publia dans son recueil Sagesse en 1881:

Gaspard Hauser chante :

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.

À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard ! 

L'opéra

Le formatage de Kaspar Hauser:  l'apprentissage de l'écriture et de la religion
Décédé à Vienne en novembre 1828, Schubert n'a pu être au courant de l'étrange destin de Kaspar Hauser dont l'apparition à Nuremberg date de mai 1828. Les deux hommes sont contemporains, ils meurent jeunes tous deux, la musique de Schubert pouvait bien servir de base pour accompagner l'évocation du destin de cet adolescent quasi sauvage. Dominik Wilgenbus et Alexander Krampe ont composé un nouveau pasticcio, schubertien cette fois, en se basant surtout sur les opéras du compositeur autrichien et sur ses Lieder, avec l'ambition de présenter le parcours de Kaspar hauser comme un cycle de Lieder. L'attention de Dominik Wilgenbus a particulièrement été attirée par l'oratorio inachevé de Schubert, Lazarus, un personnage des Evangiles dont le destin présente selon le metteur en scène des similitudes avec celui de Kaspar. Wilgenbus voit l'apparition soudaine de Kaspar, qui avait été forcé de vivre dans les ténèbres d'une cave jusque là, sans voir la lumière du jour, comme une espèce de résurrection. On peut imaginer que Kaspar, comme Lazare, se sont posé la question existentielle de leur identité: qui suis-je, moi qui ai vécu dans les ténèbres d'une cave ou de la mort, et pour Kaspar quelle est mon origine, suis-je le fils d'un noble ou d'un soldat, qui fut ma mère, quels sont mes droits, pourquoi cette enfance horrifique et détestable? Le questionnement sur l'identité se trouve aussi dans le regard que portent les autres sur Kaspar: est-il un imposteur, quelle est sa véritable origine? Une question que l'on se pose encore aujourd'hui. 

L'opéra de Dominik Wilgenbus suit l'itinéraire connu de Kaspar Hauser depuis son émergence à Nuremberg jusqu'à sa mort tragique à la cour de Ansbach. Le metteur en scène ne s'est pas contenté de cette lecture historique, il a aussi voulu pénétrer la psychologie et le monde onirique de son personnage. Aussi entrecroise-t-il  l'histoire de Kaspar avec les rêves et les fantasmes de l'adolescent. Ainsi, dans un rêve, sa mère lui apparaît-elle. L'adolescent délire aussi sur la protection d'un riche anglais, Lord Stanhope, qui va l'emmener à Ansbach mais pour une escapade sans lendemain puisqu'il l'y abandonnera. Wilgenbus insiste sur l'angoisse de l'abandon qui a marqué toute l'existence de Kaspar, et qui a nécessairement nourri ses fantasmes et ses délires. Les interprénétrations du rêve et de la réalité semblent parfois embrouillées et difficiles à comprendre, mais peut-être est-ce là la nature même d'un personnage qui ne devait jamais très bien savoir qui il était vraiment.

Pour interpréter ce personnage complexe, Dominik Wilgenbus et Alexander Krampe ont trouvé une perle rare dans la personne du baryton André Baleiro qui tout au long de l'opéra livre une interprétation marquante du personnage de Kaspar Hauser, tant sur le plan théâtral que par les modulations de sa belle voix  dont la clarté est particulièrement remarquable et qui est dotée d'une belle projection. Il s'agit du premier engagement du jeune Portugais au Kammeroper de Munich, où il fait une entrée remarquée. Les six autres chanteurs et chanteuses interprètent chacun plusieurs rôles tout au long de la soirée, ils forment les choeurs des habitants de Nuremberg lorsqu'ils portent des masques, et s'individualisent selon les besoins de l'action, grâce notamment aux costumes ingénieux de Katharina Raif. Les neuf instrumentistes de l'orchestre de l'Opéra de chambre munichois font résonner avec talent les belles musiques de Schubert, entraînés avec finesse et précision, et avec une sensibilité qui rend bien les accents d'un drame romantique, par Nabil Sheheta, dont on peut apprécier la direction d'orchestre depuis 2011 à la tête de ce bel orchestre de chambre. 

Les possibilités restreintes de la salle Hubertus obligent à trouver des solutions de décor simples et ingénieuses. Deux portes situées de part et d'autre du mur de fond de salle servent de cour et de jardin, un petit podium forme la scène, les chanteurs utilisent aussi le couloir qui divise les sièges des spectateurs. Le décorateur Ugo Vollmer a disposé sur scène la simple structure métallique d'un parallélipipède composé de trois rangées superposées de quatre cubes où peuvent venir se placer ou se lover les personnages de l'action. Une toile blanche vient de temps à autre en tapisser le fond, sur laquelle sont projetées les ombres chinoises de personnages ou de figures colorées du théâtre d'ombre. La toile peut à l'occasion devenir voile ou drapeau. Les lumières de Wolfgang Förster sont particulièrement soignées.

L'occasion de passer  une excellente soirée d'opéra au Château, en allant écouter le beau pasticcio schubertien arrangé par Alexander Krampe et joué par un orchestre et une troupe dynamisés par l'extrordinaire inventivité de Dominik Wilgenbus, une personnalité dotée d'une vive intelligence de la scène alliée à une adorable excentricité, qui en fait un des meilleurs animateurs alternatifs de la vie opératique munichoise. 

Distribution

Avec André Baleiro,  Philipp Jekal,  Clemens Joswig, Thomas Huber, Katharina Konradi, Aline Kostrewa et Florence Losseau.

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