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jeudi 27 février 2014

La Clemenza di Tito de Munich fait la part belle à la musique



Servilia, Titus et Annio
Les décors du premier acte de la Clemenza di Tito de Munich reproduisent à l'identique des éléments architecturaux de la grande salle du Théâtre national: les mêmes colonnes corinthiennes, les mêmes frises avec leurs motifs de couronnes royales bavaroises forment sur scène un hémicycle qui épouse les courbes de la salle, entourant les gradins d'un théâtre à l'antique, rappel obligé des jeux du cirque et du Colisée. La continuité architecturale des décors rabote la convention de la distance scénique et rapproche les spectateurs de l'action. C'est qu'au-delà de l'histoire, nous sommes concernés par les enjeux du drame et sommes aujourd'hui les spectateurs sans doute involontaires de drames similaires: les jeux du pouvoir et de la volonté de puissance, l'utilisation des appâts du sexe pour assouvir la soif de domination et les sombres intrigues de palais, les complots et les pratiques incendiaires et terroristes sont restés d'actualité de Titus à Mozart et de Mozart à nos jours. Il est rare qu'un grand de ce monde échappe aux jeux de corruption, Titus fait là figure d'exception emblématique. Le blanc domine dans un monde qui reflète la pureté et la droiture d'un empereur idéaliste: blancheur de l'hémicycle, des costumes des choristes, et même des musiciens de l'orchestre, blancheur encore tant de la toge que de la cape de l'empereur, des vêtements simples comme une robe sans couture qui donnent un air christique à l'empereur. Tout au long de l'opéra les codes employés par Jan Bosse resteront simples et lisibles  sans tomber pour autant dans le simplisme. Tout au contraire. Pour explorer le personnage de l'empereur, Jan Bosse joue sur deux grands tableaux du livret pour les mettre en dialogue: le personnage public de l'empereur qui doit prendre la raison d'Etat et le verdict populaire en compte, et la personne privée avec ses doutes, ses intérêts et ses conflits intérieurs. Le coeur à ses raisons que la raison d'état ne connaît point.

Tara Erraught (Sesto)
La mise en scène de l'orchestre assouplit elle aussi la convention de la distance scénique: l'orchestre habillé de blanc qui accède à la fosse en entrant dans la salle par les portes réservées au public, son changement de costume au deuxième acte après l'attentat et l'incendie. Jan Bosse fait en sorte que l'orchestre participe de l'action. Ainsi pour l'air de Sextus « Parto, parto », il fait s'asseoir le clarinettiste (excellent Andreas Schablas) aux côtés de Sextus pour accentuer le dialogue. Il en va de même pour le  rondo de Vitellia au deuxième acte, « Non più di fiori »,  où il fait monter le cor de basse sur scène avec le même effet. En début du deuxième acte, l'orchestre ne rentrera en fosse qu'après le récitatif d'Annio, la chanteuse qui l'incarne s'accompagnant elle-même de quelques notes au clavecin, la fosse devenant un des lieux de l'action pour l'aparté pendant lequel Sesto avoue son crime à son ami Annio.

Tout ceci ne constitue pas une rupture des conventions scéniques, mais simplement un assouplissement bienvenu qui étonne sans choquer pour ajouter une dimension intemporelle au propos. La sobriété de la mise en scène, des décors et de la plupart des costumes, la beauté des lignes simples contribuent à la lisibilité de l'action et à la pleine jouissance musicale. 

Les personnages féminins portent des costumes plus travaillés: Victoria Behr s'inspire de la mode de la fin du 18ème siècle, robes à paniers plus ou moins amples aux couleurs vives et hautes perruques. Vitellia est affublée des parures les plus encombrantes, avec des robes à paniers extrêmement larges et un échafaudage capillaire à la mesure de sa soif de pouvoir et de ses ambitions. Cet accoutrement orgueilleux rend ses déambulations difficiles, spécialement lorsque l'action se passe sur des gradins qu'il faut constamment monter ou descendre. Vitellia la calculatrice, cette femme avide qui manipule les êtres et les sentiments sans vergogne ni pitié aucunes, est ainsi l'antithèse de Titus, qui à la parure préfère le dépouillement, et place la magnanimité et le pardon au-dessus même des lois et des institutions. 

Changement de décor au deuxième acte. Le Capitole a brûlé, tout n'est plus que cendre, l'empereur serait mort, l'univers entier est endeuillé. Les colonnades et les frises ont disparu pour faire place à la nudité des murs du cintre, seuls subsistent les gradins de l'hémicycle, couverts de cendres. Les perruques et les beaux vêtements de cour ont disparu, tous les choristes portent le deuil, les cheveux en désordre et salis et les visages noircis, les musiciens de l'orchestre, toujours en dialogue scénique, portent le noir eux aussi. Sesto est aux aveux. L'empereur a été retrouvé vivant et hésite à suivre l'avis du Sénat qui condamne Sesto. Dans cet univers de désolation, Vitellia s'est elle aussi mise en deuil, sans rien changer à l'extravagance de ses paniers, même si le remords n'est pas loin. Pour les décors les deux actes fonctionnent en opposition. Seule Servilia reste vêtue du début à la fin d'une belle robe de taffetas rose, comme pour souligner l'honnêteté ingénue et la constance  de cette jeune femme qui a su défendre son amour et refuser le mariage que lui proposait rien moins que l'empereur, comme si l'amour qui se clame ne pouvait être corrompu. Malgré les lignes assez pures et dépouillées de la mise en scène, on relève l'ambiguïté assez charmante des costumes des chanteuses interprétant des rôles d'homme: Sesto en costume fin de siècle, portant moustache, redevient une femme éperdue et échevelée au deuxième acte, Annio porte de longs cheveux roux sur un ensemble tunique pantalon turquoise indianisant. ce qu'il y a de plus décalé, de quasi incongru, ce sont le costume noir et la coiffure à fortes coques de Publio qui campe une sorte de grand prêtre assyrien. Les émotions des protagonistes sont relayées par des vidéos géantes qui se projettent en fond de décor entre les colonnes monumentales de l'hémicycle, des vidéos qui privilégient le gros plan rapproché sur les visages, avec des effets d'amplification saisissants, qui montrent le travail expressif des chanteurs.

Si la mise en scène a intégré les musiciens et donne un éclairage intéressant au livret, c'est la musique qui captive tout au long de la soirée. Le chef Petrenko a fait depuis son arrivée à la direction musicale de l'opéra de Munich un parcours sans faute: on le savait wagnérien depuis Bayreuth, il a fait ses preuves avec sa magnifique interprétation de la Frau ohne Schatten de Strauss, on le retrouve avec enchantement dans Mozart. Voici un chef qui varie les tempi, sait ménager de la respiration dans les récitatifs et donner de la vigueur ailleurs, avec un travail de direction alerte, tout en précision, avec le souci extrême du détail et un respect absolu du chant qu'il laisse pleinement s'épanouir en modérant la puissance de l'orchestre quand il convient. Le Maestro séduit par une coordination intelligente et attentive du chant, des choeurs et de l'orchestre. La belle distribution met à l'honneur des chanteurs de l'ensemble de l'Opéra d'Etat bavarois, qui brillent davantage que les chanteurs invités. Un public soulevé d'enthousiasme a salué la performance du Sesto de Tara Erraught, avec des applaudissements nourris dès le premier acte après un magnifique 'Parto, parto'. Le dialogue de son riche mezzo avec la clarinette est de toute beauté. Coup de coeur pour cette chanteuse qui n'en finit pas d'étonner depuis son remplacement au pied levé de Vasselina Kasarova en 2011 pour le rôle de Romeo dans Capuleti. On la retrouvera avec plaisir dès la semaine prochaine en Angelina dans Cenerentola. Pendant le premier acte, Kristine Opolais peine à trouver ses marques dans le rôle de Vitellia, malgré un engagement scénique considérable, mais donne au deuxième acte un aria final, “Non più di fiori” qui fait oublier les inégalités de la première partie. Angela Bower donne avec une force poignante les deux arias d'Annio dan la première partie du deuxième acte, et Hanna-Elisabeth Müller, elle aussi de l'ensemble munichois, fait une excellente Servilia. Toby Spence n'est pas exactement au rendez-vous de Titus: si son phrasé et sa voix claire sont extrêmement élégants, il rencontre quelques difficultés dans l'aigu, et son Titus ne parvient pas à convaincre. Toby Spence semble parfois incarner un adolescent fier de sa bonne action qui veut surprendre en jouant un bon tour (sa clémence) là où on ne l'attendait pas. La dignité impériale est par trop absente de son jeu et on peine à le croire lorsqu'il hésite à condamner son ami Sesto. Il  ne nous permet que rarement de rencontrer le Sauveur souverain que la blanche simplicité de sa robe et de son manteau impérial laissait espérer. Enfin  Tareq Nazmi, lui aussi de la troupe, fait oublier par sa puissante interprétation de Publio l'incongruité de son costume qui ne manque pas d'étonner.

On retrouvera cette mise en scène pendant le Festival d'été de l'Opéra de Munich les 16 et 19 juillet 2014, avec les mêmes chanteurs et sous la direction musicale d'Adam Fischer.

Crédit photographique: Wilfried Hösl







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