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mardi 11 juin 2013

Opéra de Munich: le Boccanegra de Tcherniakov emporte les suffrages du public


La presse bavaroise a réservé un accueil plus que mitigé à la nouvelle production du Bayerische Staatsoper, un Simon Boccanegra de Verdi mis en scène par Dmitri Tcherniakov et dirigé par Bertrand de Billy. D'aucuns regrettent que l'Opéra de Munich, richement doté, se contente d'une mise en scène déjà présentée à l'English national opera (ENO) et retravaillée pour la capitale bavaroise. Pêle-mêle, les performances des chanteurs, la direction d'orchestre et les choix de mise en scène et des décors, pas assez historicisante pour l'une , trop dépouillés et pas assez maritimes pour les autres, n'ont recueilli que des suffrages peu enthousiastes.

Du chemin a cependant dû être parcouru entre la première et la représentation de ce dimanche, la troisième de la série, à l'issue de laquelle le public a réservé une standing ovation des plus enthousiastes tant aux choeurs et aux chanteurs qu'à l'orchestre et à son chef. Comme souvent, la vox populi n'a pas suivi la vox Dei.

Boccanegra élu Doge
(c) Wilfried Hösl
Dmitri Tcherniakov place l'action au XXème siècle. Le prologue se déroule dans un décor tout entier inspiré de la peinture d'Eward Hopper, et recrée l'atmosphère d'une ville américaine des années 1920, 30 ou 40: une bow-window, un immeuble de coin en forme de rotonde, et surtout un café du coin avec ses baies vitrées qui laissent voir tout ce qui se passe à l'intérieur, et qui reproduit le café du célèbre Nighthawks de Hopper. Les luttes intestines des plébéiens et des patriciens de la Gênes médiévale sont transposées dans le New York ou le Chicago mafieux de la première moitié du XXème siècle, des tractations entre clans vont mener le corsaire Boccanegra au pouvoir, un Boccanegra qui est amené ivre en scène par une voiture américaine, tous feux allumés. Les décors sont dus au metteur en scène, Tcherniakov est parvenu à rendre très exactement la manière du peintre américain. 

Après le prologue, la scène qu'on vient de quitter se voit projetée sur un rideau à l'allemande, il ne s'agit pas d'une photo, mais de la scène telle que le peintre l'aurait représentée. 25 années s'écoulent, le rideau laisse la place à un deuxième rideau tout pareil au premier, puis par un jeu d'images, la projection se réduit progressivement à un tableau accroché sur un mur gris totalement dépouillé. Pendant les trois actes, on se retrouvera d'abord dans un salon terne avec une fenêtre qui ne s'ouvre pas sur la Méditerranée, puis dans une salle polyvalente tout aussi grise et terne, transformée en salle de conférence avec ses rangées de chaises noires, sa table de conférencier avec une carafe d'eau traditionnelle pour l'orateur, à côté du micro. Le parti pris de Tcherniakov n'est pas de représenter un épisode de l'histoire italienne mais d'insister sur les dimensions psychologiques du drame, plus intériorisées et intemporelles, ce qui ne requiert pas d'allusion au balcon sur la mer qu'est la ville de Gênes ni aux arcades des grandes demeures patriciennes. Room without a view. Les chaises de la salle         de conférence alignées en bon ordre sont  tantôt désorganisées ou jetées à terre, tantôt remises en place, en miroir symbolique des vicissitudes de l'action ou de la psychologie. Une lampe de bureau éclaire le verre d'eau dans lequel sera versé le poison que consommera Simon Boccanegra. Au tableau final, Boccanegra , après avoir consacré Adorno, quitte la salle de conférences envahie par le peuple pour en passer la porte, mais c'est celle de l'au-delà qu'il franchit pour aller rejoindrer sa Maria. 

La mise en scène est plus psychologique que politique, plus intemporelle qu'historique. le parti pris en est cohérent, tout comme l'était celui de Verdi qui en son temps en appelait à l'unité italienne à partir d'un conflit médiéval. Les costumes d'Elena Zaytseva participent de la même cohérence interprétative: inspirés des milieux de la mafia italienne des villes américaines, entre Hopper et Al Capone pour le prologue,  ils jouent sur un camaïeu de gris et de noirs pour les trois actes, en communion avec la grisaille du décor. Amelia Grimaldi, la fille de Simon, est de noir gothique vêtue, un costume qui se marie bien avec le cuir blanc et noir de motard de Gabriele Adorno. Seul le tableau à la Hopper rappelant le prologue donne une touche couleur dans ce monde gris et uniforme.

Photo W. Hösl
La direction musicale de Bertrand de Billy rend bien la tension dramatique de l'oeuvre, il obtient notamment une performance très harmonieuse des cuivres avec des couleurs somptueuses. Kristine Opolais, que l'on avait adulée à Munich en Rusalka,  est venue chanter Amelia en remplacement de Krassimira Stoyanova, son soprano métallique surprend d'abord, là où l'on attend la douceur italienne, mais elle habite bientôt le personnage dont elle donne une interprétation remarquablement précise, et sa voix se marie au mieux avec le ténor tout aussi métallique et cuivré de Stefano Secco qui donne un Adorno plus amoureux que politique. Le Fiesco  de Vitalij Kowaljow avec une basse profonde et ronde remporte lui aussi un grand succès. Mais c'est le Boccanegra de Željko Lučič qui domine toute la production, un rôle qu'il avait déjà chanté à Francfort dans une mise en scène de Christoph Loy. La palette de ce grand baryton verdien est stupéfiante et la manière dont il passe comme en s'en jouant des tonalités de l'exaltation ou de la puissance à celles d'un abattement résigné et morfondu, de la gloire à la prostration, cette manière est magicienne, ses basses sont magnifiques. Il reçoit les honneurs des trépignements d'un public emporté par l'enthousiasme.

Au Théâtre national de Munich, les 12 et 15 juin, puis le 12 juillet 2013.
Plusieurs représentations prévues en avril 2014 (avec Gagnidze et Stoyanova).

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