Anja Kampe Senta |
Le Bayerische Staatsoper reprend en avril et en juin 2013 sa production du Vaisseau fantôme de Richard Wagner dans la mise en scène conçue en 2006 par Peter Konwitschny. C'est Asher Fisch qui dirige l'Orchestre d'Etat bavarois.
Le spectacle sera diffusé en liveweb le 20 avril. A cette occasion, le public international non germanophone pourrait ne pas comprendre grand chose à la mise en scène très Regietheater de Konwitschny et crier au crime de lèse-Wagner là où le public germanophone sourit et se sent volontiers complice, spécialement à partir de la grande scène du choeur des fileuses.
Le premier acte est mis en scène de façon quasi traditionnelle: les deux bateaux sont représentés hors champ visuel, leur présence est signalée par les deux passerelles d'accès qui se font face: côté cour la passerelle d'acier du bateau de Daland, puis côté jardin celle de bois avec ses cordages vieillis empesés d'algues du vaisseau fantôme. L'action nous est contemporaine, ce qui se comprend par les vêtements des marins norvégiens. Le Hollandais et ses marins semblent par contre sortis tout droit de la Ronde de nuit de Rembrandt ou des portraits de Rubens avec leurs grandes bottes, leurs larges chapeaux et leurs vêtements bordés de dentelles.
Le choeur des fileuses |
C'est l'acte II qui risque de surprendre. Les femmes norvégiennes qui attendent le retour des hommes surpris par la tempête ont depuis longtemps légué leurs fuseaux et leurs rouets au musée ethnographique de la ville portuaire et passent leur temps à faire du 'spinning' dans la salle d'entraînement d'un studio de fitness géré par Mary. Peter Konwitschny a joué sur un glissement linguistique. Le 'spinning', ou 'indoor cycling', consiste à pédaler à rythme soutenu sur un vélo fixe. Les cours de spinning sont donnés dans des salles pourvues de nombreux vélos fixes. Mary entraîne dans sa salle les femmes des marins, qui chantent enfourchées sur leurs vélos le fameux Summ und Brumm, Du gutes Rädchen, le célèbre choeur des fileuses. La roue du rouet (Rädchen) a été remplacée par les roues des vélos. Filer, en allemand, se dit Spinnen, et voila, le tour est joué, les fileuses filent grand train sur leurs vélos fixes. Ce type de jeu de mots sur l'homonymie est extrêmement divertissant en allemand, une langue qui, à l'instar du français, même si c'est dans une moindre mesure, connaît elle aussi l' humour homonymique. En allemand, Spinnen signifie aussi aujourd'hui dérailler, perdre la raison, un peu ce qui arrive à Senta qui délire joyeusement avec son amour pour un héros de légende. Elle arrive en retard au cours de fitness, portant sous le bras un tableau représentant son fantasme, le portait du légendaire Hollandais, qui est en fait une copie du plus célèbre des auto-portraits de Rubens. Ses copines le lui dérobent et se le passent pour se moquer de sa chimère et Senta court entre les vélos pour essayer de le récupérer. Erik rentre en scène en peignoir de bain, il doit sortir du sauna ou de la piscine du complexe sportif. Sans doute vient-il de recevoir un appel d'un des marins sur son portable, ce qui lui permet d'annoncer le retour sain et sauf du navire de Daland et de ses hommes. L'arrivée du Hollandais en grand costume d'officier du XVIIème siècle parmi ce groupe de femmes en 'leggins' fait contraste...Erik finira par déchirer le portrait en le fracassant sur un des vélos de la salle de sport.
Tout rentre dans l'ordre traditionnel au troisième acte, une fête est organisée dans un entrepôt sobrement suggéré par des poutrelles et des cordages. Les deux groupes de marins sont campés avec des attitudes très contrastées: aux débordements d'ivresse joyeuse des Norvégiens s'oppose la triste dignité du groupe de marins hollandais parmi lesquels se trouve le Hollandais, que l'on entrevoit de dos seulement. Il surprend ainsi les propos d'Erik qui rappelle ses promesses à une Senta désespérée, sans qu'il ait à se cacher, il est confondu dans la foule de ses marins. Il lui suffira alors de se détacher du groupe pour se faire reconnaître de la femme dont il croit qu'elle l'a trahi. Konwitschny nous donne un final détonant puisque Senta se suicide non en se jetant dans les flots déchaînés en mettant le feu à un baril de poudre dont l'explosion emporte tout le monde, orchestre compris semble-t-il puisque les dernières mesures de l'opéra sont diffusées par la transmission d'un enregistrement qui semble venir du fond de scène.
Sur le plan musical, le baril de poudre est bien la seule chose qui déton(n)e avec un orchestre, des choeurs et un plateau de chanteurs exceptionnels. Anja Kampe, qui a s'est fait une spécialité du rôle, donne une Senta vibrante de passion, avec une présence en scène enflammée, une voix lumineuse et puissante au chant radiant, des aigus fort bien travaillés, sa ballade du deuxième acte est magnifique de maîtrise. Daland devait être chanté par Rafal Siwek, mais le chanteur, souffrant, a été remplacé par la basse danoise Stephen Milling qui en impose par sa large stature puissante et débonnaire et impressionne musicalement surtout par de beaux graves. L'Erik de Klaus Florian Vogt, en grande forme, séduit par sa musicalité et le charme de son bel canto wagnérien, avec une capacité de projection confondante. Johan Reuter tient la partie du Hollandais et, sans avoir la puissance d'Anja Kampe, forme cependant un beau couple musical avec la chanteuse, avec de belles clartés dans le mezzo. Norbert Ernst donne un pilote très applaudi, avec son beau ténor wagnérien. Okka von der Damerau chante Mary et complète avec bonheur ce très beau plateau. Les choeurs de Sören Eckhoff livrent un travail d'une clarté et d'une unité époustouflantes. Asher Fisch, qui a abordé Wagner lorsqu'il était l'assistant de Barenboim à Berlin, en donne une vision inspirée quoique parfois autoritaire et anime un orchestre qui confine à la perfection, tout à son bonheur de rejouer cette oeuvre qui lui va comme un gant.
Les 17 et 20 avril et le 28 juin au Théâtre national de Munich. Livestream le 20 avril.
Crédit photographique: Wilfried Hösl
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