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dimanche 8 juillet 2012

Les carnets secrets de Louis II de Bavière

Présentation de l'éditeur

On assiste, dans ce journal intime, au combat pathétique d'un homme déchiré entre ses désirs naturels et les interdits d'une morale implacablement répressive. Sans doute l'atavisme des Wittelsbach joua-t-elle un rôle dans le délabrement progressif des facultés mentales du souverain. Mais, s'il finit par sombrer dans une sorte de démence, la lecture de ces pages nous donne à rectifier notre diagnostic. Louis II n'était pas fou : l'Allemagne de Bismarck broyait quiconque n'obéissait pas aux règles sexuelles codifiées dans les nouvelles lois de l'Empire, et Louis II, tout souverain qu'il était, fut brisé par l'effroyable machine. Cette édition des Carnets Secrets de Louis II de Bavière est la traduction intégrale du texte original publié en 1923. Elle est augmentée du rapport psychiatrique des médecins de Louis II et du rapport d'autopsie établis en juin 1886 ainsi que des notes et commentaires de l'édition allemande publiée par Nymphenburger en 1986.

Publié chez Grasset en 1987, traduction de l'édition allemande publiée en 1986 à l'occasion du centenaire de la mort du Roi.


Extraits de la préface de Dominique Fernandez

Que le destin de Louis II de Bavière fût pathétique, ce n’était un secret pour personne, avant même la parution en Allemagne de ses Carnets secrets, publiés pour la première fois en version intégrale à l’occasion du centenaire de sa mort, en 1986.

(…) Les Carnets secrets ne contiennent aucune allusion aux vicissitudes politiques. Il n’y est question que de la vie privée de Louis II, et d’un seul aspect de cette vie : la lutte, incessante, harassante, contre la masturbation et l’homosexualité. Voilà à coup sûr l’élément le plus pathétique de ce destin, mais qui serait difficilement compréhensible aujourd’hui si on ne se remettait en mémoire comment, il y a cent ans, et surtout en Allemagne, l’homosexualité était considérée. Pour le dire grosso modo, celui qui naissait « différent » ne se sentait pas seulement un hérétique du sexe – motif d’être glorieux, après tout – il s’estimait une erreur de la nature, un raté dans l’ordre du monde, moins que rien. En proie déjà au qui suis-je ? esthétique et politique, Louis II fut rongé par le doute, plus radical, du qui suis-je ? existentiel. Est-ce que j’existe seulement ? Y a-t-il une place pour moi dans l’univers ?

(…) Qu’un grand amour ait uni Louis à Richard Hornig, aucun doute là-dessus. Que cet amour ait causé au roi autant de tourment que de joie, ce n’est pas moins certain. L’homosexualité, même la masturbation, toute forme d’érotisme non procréateur faisait en ce temps-là l’objet d’une interdiction absolue. Le roi, trop faible pour se dégager des tabous de son époque, fut prisonnier toute sa vie d’un atroce sentiment de culpabilité, qui finit par le détruire. La plus grande partie des Carnets secrets consigne les péripéties d’une guerre sans merci contre l’instinct sexuel. Serments envers soi-même, ordres péremptoires adressés aux amants, invocation à des puissances tutélaires suppliées de le protéger d’une rechute ponctuent ce texte aux accents désespérés.

L’emploi du français [en italiques dans les extraits qui suivent] devait avoir une fonction propitiatoire magique : de même, pour beaucoup de fidèles, la latin confère aux prières de pénitence l’efficacité d’un talisman. (…) Symbole de cette interdiction et de cette lutte : la balustrade. Les touristes qui s’extasient devant ces rambardes tarabiscotées et dorées, qui isolent, dans les chambres à coucher de Linderhof et de Herrenchiemsee, le lit royal, soupçonnent-ils leur vrai rôle, beaucoup moins esthétique que moral ? Elles devaient préserver le roi de la tentation, dresser une barrière entre lui et ses amants, empêcher ceux-ci de parvenir jusqu’au lit.

(…) Malgré ces combats effroyables qui usaient ses énergies, le roi gardait l’esprit sain. L’incohérence, la ponctuation aberrante, l’orthographe capricieuse de la plupart de ces notes ne peuvent en aucun cas constituer des preuves à charge. Il s’agissait de carnets « secrets », griffonnés à la hâte, peut-être en cachette de l’entourage, en langage sténographique, et avec le ferme propos de ne jamais les montrer à personne. La dégradation de style qu’on observe au fil des années correspond à l’affaiblissement des résistances intérieures devant la formidable coalition des forces persécutrices. (…) Il est vrai que Louis II poussa quelquefois la plaisanterie un peu loin. Celui qui n’a jamais eu le droit de se montrer tendre peut facilement devenir cruel. On parle de valets battus, fouettés, marqués au fer rouge, ou précipités dans les oubliettes de Neushwanstein. La rumeur courut que le jeune laquais Rotheranger succomba à la suite de sévices exercés de la main même du roi.

Sexualité déclinante qui avait de plus en plus de mal à se satisfaire ? Marcel Proust, dans le bordel masculin où il rencontrait des prostitués, se faisait donner en spectacle, pour arriver à l’orgasme, des combats de rat affamés dont les cris, les morsures, le sang, l’agonie lui permettaient d’être heureux. Qu’un grand écrivain se passât ces fantaisies barbares, on ne voit là aucun symptôme d’aliénation. Justice soit rendue à Louis II, prophète désarmé, bouffon et martyr de l’homosexualité.

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