mercredi 10 juillet 2024

Les pèlerins de Bayreuth — Un article d'André Hallays (1892) — Les premiers pèlerins wagnériens (1869)

Le 27 juillet 1892, André Hallays (1) publiait dans les Débats (Journal des débats politiques et littéraires) un article intitulé Les pèlerins de Bayreuth. Les choses ont-elles changé aujourd'hui ? À vous de juger.

La brasserie Angermann que fréquenta Wagner dès son arrivée à Bayreuth en 1871. *
L'immeuble fut démoli à l'automne 1892

LES PÈLERINS DE BAYREUTH

En 1876, après la représentation de la Tétralogie à Bayreuth, Albert Wolff (2), qui fut toujours un grand prophète, écrivait : " Demain, ce théâtre de Bayreuth sera probablement un cirque, une salle de bal ou un tir national. " C'était le temps où Edmond About (3), dont quelques-uns vantent encore le goût et le sens artistique, appelait Richard Wagner " un Hervé (4) sans esprit, sans gaieté et sans mélodie. "

Je ne rappellerai pas ce qu'écrivirent les " princes de la critique ", en 1882, quand fut représenté Parsifal. Alors il y eut encore un prodigieux débordement de niaiserie et de mauvaise foi. Et de quelles railleries ne poursuivit-on pas les mauvais patriotes qui firent le pèlerinage de Bayreuth !

Aujourd'hui, le théâtre est toujours debout sur la colline sainte. Chaque année, de la France comme du reste du monde, dévots et snobs s'empressent vers Bayreuth — toujours plus nombreux. Les " princes de la critique " sont pleins de respect pour les mystères du Graal. Et on entend dire autour de soi : Je vais à Bayreuth, du même ton dont on a coutume de dire : Je vais à Aix ou à Trouville.

Je connais de vieux wagnériens qui regrettent ces temps héroïques où les philistins n'avaient pas encore profané le temple, où, au milieu de la foule cosmopolite de Bayreuth, quelques Français se ralliaient autour d'un magistrat wagnérolâtre, où, le soir, dans les brasseries étonnées, sonnait la trompe du pur et fol Edouard Dujardin. On revenait alors d'Allemagne avec la vanité un peu naïve d'avoir bravé le préjugé. De retour à Paris, les initiés se montraient au public, rue de Malte, chaque dimanche d'hiver, à cinq heures du soir, lorsqu'on sortait des concerts de M. Lamoureux (5). C'était là qu'on voyait les hadji. Ils ne portaient point le turban vert, mais ils formaient des groupes dédaigneux, d'où s'exhalait un parfum de bonne doctrine et de vraie sainteté.

Je comprends un peu le mépris que témoignent aujourd'hui ces pèlerins de la première heure pour la banale cohue des touristes qui partent sans foi ni recueillement, s'ennuient à mourir, et reviennent sans même goûter la joie d'avoir accompli quelque chose de saugrenu et de passer pour des originaux. Car la mode, — et cela est tout à fait comique, — la mode est d'aller à Bayreuth.

Il ne faut pourtant pas céder à ce naturel mouvement de dépit que nous ressentons chaque fois que nous voyons le vulgaire partager brusquement nos engouements les plus distingués, ceux dont nous aurions désiré conserver pour nous la singularité, tout en conspuant du reste l'universelle sottise. Il ne faut pas être cruel pour les admirateurs imprévus de Richard Wagner. Surtout il ne faut pas les décourager. Beaucoup d'entre eux, soit qu'ils ignorent l'allemand, soit qu'ils apportent le parti pris de tout juger et de ne rien aimer, demeureront sans doute insensibles aux splendeurs de Parsifal, à la gaieté des Maîtres chanteurs, à la frénétique passion de Tristan. Tous du moins par leur présence assurent le succès de l'entreprise théâtrale. Tous font vivre de leur argent l'œuvre de Bayreuth. Or, il est indispensable que cette œuvre prospère afin qu'un jour la Tétralogie nous soit enfin rendue sur la scène même que Wagner éleva pour ses représentations.

Souhaitons donc bon voyage à tous ces pèlerins inattendus qu'emporte l'Orient Express. Une fois arrivés à Bayreuth, s'ils sont de l'avis d'Albert Wolff qui jugeait Parsifal " embêtant à crever " ou de M. Camille Bellaigue (6), qui découvre dans les Maîtres chanteurs " une pièce plus qu'insipide, une musique souvent plus qu'ennuyeuse ! ", peut-être tout de même ne regretteront-ils pas leur voyage. L'arrivée à Bayreuth est pleine d'imprévu avec toutes les Floramyes (7) couperosées qui, sur le quai de la gare, sollicitent le voyageur d'accepter leur hospitalité : Mir! — Mir! — Komm'! Komm'! Holder Knabe..." Puis la ville est divertissante avec ses innombrables marchands de souvenirs et de bibelots wagnériens, son théâtre pavoisé, en pleine prairie, à la lisière des bois, ses brasseries où coule à flots une bière savoureuse, ce va-et-vient des larges calèches attelées d'une rosse unique, le grouillement des hordes cosmopolites chaque jour renouvelées, et, tout autour, par delà les maisons, une campagne douce, calme, gracieusement vallonnée sous un ciel pâle. S'il en est que l'art wagnérien ennuie, Bayreuth les amusera comme un joli spécimen de ces petites résidences allemandes, où, au dix-huitième siècle, de petits princes se donnaient le divertissement et le décor de Versailles. Ceux-là iront à l'Ermitage où, parmi les ruines artificielles, les nymphes et les tritons armés de jets d'eau, les portiques, les arbres taillés et les charmilles, ils retrouveront encore vivant le souvenir de cette margrave de Bayreuth, qui fut la sœur de Frédéric le Grand et l'amie de Voltaire. Ils visiteront surtout le vieux théâtre de la cour des margraves, qui est bien une des œuvres les plus stupéfiantes de ce style rococo (Barockstyl, dit le cicérone bavarois) dont raffola toute l'Allemagne du dix-huitième siècle et dont on peut contempler la floraison extravagante dans les bibelots du Grünen Gewölbe de Dresde. Enfin, ceux qui partent pour Bayreuth sans parti pris, avec le désir d'être émus, je veux recommander la lecture d'un petit livre très édifiant et très instructif (8). Pour son auteur, M. Emile de Saint-Auban (9) le chemin de Bayreuth fut le chemin de Damas. Tout de suite, le néophyte est devenu un apôtre enthousiaste. Il a écrit, pour célébrer sa conversion, une excellente analyse et un très beau commentaire de Parsifal. Dans ce livre, les pèlerins apprendront comment la foi vient aux simples et comment naît l'Admiration de Richard Wagner chez les hommes de bonne volonté.

ANDRÉ HALLAYS.

(1) André Marie Victor Hallays est un journaliste, rédacteur au Journal des débats, critique littéraire, critique d'art et écrivain français né à Paris le 16 mars 1859 et mort dans la même ville le 3 mars 1930.
(2) Albert Wolff, né Abraham Wolff le 31 décembre 1825 à Cologne et mort le 22 décembre 1891 en son domicile parisien est un écrivain, dramaturge, journaliste et critique d'art. Parmi tous les journalistes français, il fut le meilleur ennemi de Wagner.
(3) François Edmond Valentin About (1828-1885) est un écrivain, journaliste et critique d'art français, membre de l’Académie française.
(4) Louis-Auguste-Florimond Ronger, dit Hervé (1825-1892), compositeur, auteur dramatique, acteur, chanteur, metteur en scène et directeur de troupe français.
(5) au Théâtre du Château d’Eau.
(6) Camille Bellaigue (1858-1930), critique musical et musicographe.
(7) autre mot pour désigner les Filles-fleurs.
(8) Emile de Saint-Auban, Le pèlerinage à Bayreuth, Savine éditeur, 1892.
(9) Alfred-Émile de Bruneau de Saint-Auban, né à Frascati en 1858 et mort en Avignon en 1947, est un avocat et journaliste français d'extrême-droite, nationaliste, antisémite et antidreyfusard.

* En 1871, Richard Wagner arrive de Suisse à Bayreuth. Il en rapporte sa prédilection pour la bière bien fraîche et le "Dämmerschoppen" (le pot de la tombée du jour) quotidien. Cependant, c'est d'abord le "Angermann" dans la Kanzleistraße qui devient son lieu de prédilection ("Si tu ne me rencontres pas chez moi, je suis certainement chez Angermann"). On sait que Wagner y arrivait toujours entre 17 et 18 heures et qu'il préférait s'asseoir à la table du cocher. Lorsque la brasserie ferma ses portes, Wagner fréquenta Der Eule, qui accueille toujours des clients aujourd'hui.

Les pèlerins du premier Rheingold — Les voyageurs de l'Or du Rhin


L'Or du Rhin fut créé à Munich le 22 septembre 1869 par ordre du roi Louis II de Bavière et contre la volonté de Richard Wagner. Cet événement marquant de l'histoire de l'opéra attira un grand nombre de wagnériens enthousiastes. Notre recueil présente les articles de la presse française qui rendent compte de la vie culturelle et sociale de la capitale bavaroise au moment des répétitions et de la création de l'Or du Rhin et du scandale qui éclata lors de la répétition générale du Prologue de l'Anneau du Nibelung et qui entraîna un cortège de démissions dont la conséquence fut le report de la première.

La plupart des textes de ce livre sont restés inédits, si ce n'est au moment de leur publication dans les journaux de l'époque. On lira tant les témoignages des ardents pèlerins du wagnérisme que furent Judith Gautier, Catulle Mendès, Villiers de l'Isle-Adam, Augusta Holmès ou Edouard Schuré que ceux des antiwagnériens comme Albert Wolff.

Au cours de leur voyage vers Munich, les époux Mendès et Villiers de l'Isle-Adam se rendirent à Tribschen sur les bords du lac des Quatre-Cantons pour y rencontrer le compositeur et sa compagne et firent, par voie de presse ou dans leur correspondance, le compte-rendu de leur voyage et de leur séjour auprès du Maître dans des textes hauts en couleurs. Le point de vue de Richard Wagner et de sa compagne Cosima von Bulow sur leurs visiteurs et sur les événements munichois nous est également parvenu grâce au Journal de Cosima et est également évoqué en ces pages. La correspondance de la comtesse Mouchanoff, mécène de Wagner et amie de Cosima, qui séjourna à Munich aux mois d'août et de septembre nous livre les réactions d'une grande dame aux événements de l'´été 1869.

Où commander le livre ? (cliquer sur les liens) : FnacAmazon.frHugendubel (Portofrei in Deutschland), Amazon.deAmazon.itchez l'éditeur BoD.
Commande en librairie avec l' ISBN 9782322102327

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