La soprano lettone Marina Rebeka, l'une des plus grandes chanteuses d'opéra de notre époque, nous invite à la suivre dans ses pérégrinations vocales de mélodies composées par des compositrices et des compositeurs français de la seconde moitié du 19ème siècle. Ces mélodies évoquent le thème du voyage exotique vers le rêve d'un Orient proche ou lointain, ou du voyage obligé en raison de l'exil.
Marina Rebeka a donné davantage de place aux compositrices : 13 mélodies sur les 23 que comporte le CD portent une signature féminine. Un voyage dans la mélodie romantique française placé sous l'égide di Palazzetto Bru Zane, qui en est le spécialiste Un voyage polyglotte quadrilingue. Aux mélodies françaises succèdent des chansons italiennes, puis allemandes et enfin russes : Gounod, Saint-Saëns et Pauline Viardot ont composé sur des textes en italien, Marie Jaëll, française d'Alsace, sur des textes allemands, et Pauline Viardot encore, en exil à Baden Baden, sur des textes russes. Il est vrai qu'elle et son mari furent des amis inséparables de Tourgueniev, elle devint son amante et vécut avec lui, qui lui donna le goût de la littérature russe au cours de ce qui fut « la plus belle histoire d’amour du 19ème siècle », — le mot est de Maupassant.
Marina Rebeka fut nommée au cours de la saison 2017/2018 la première artiste en résidence du Münchner Runfdunkorchester. Elle s'était cette année-là entre autres passionnée pour l'opéra français à l'époque de Napoléon III et à la Belle Époque, avec son cocktail de grands drames, de complots spectaculaires, son crépitement histoires d'amours érotiques et tragiques, et avait déjà alors relevé le défi de rendre la splendeur des plus beaux extraits du répertoire français du milieu et la fin du 19ème siècle en donnant au Prinzregententheater un récital intitulé Vive l'opéra ! Son répertoire de la musique lyrique française s'est par la suite encore enrichi avec le rôle de Marguerite dans le Faust de Gounod, celui de Leila dans Les pêcheurs de perles de Bizet et le rôle titre de la Thaïs de Massenet.
Dans les mélodies de son CD Voyage, elle fait preuve d'une technique de diction et d'un français irréprochables. Elle l'ouvre avec l'incontournable Invitation au voyage de Duparc sur le poème de Baudelaire, pour poursuivre sur la Chanson slave de Cécile Chaminade, avec le magnifique accompagnement au piano de celle qui fut elle-même une admirable pianiste, dont Liszt aurait dit qu'elle lui rappelait Chopin. La Rêverie de Marie Jaëll est composée au départ du poème de Hugo qui évoque une " ville mauresque, éclatante, inouïe. " Puis ce sont des rêves d'Orient, le Bosphore avec Widor, le Gange avec Saint-Saëns. Ispahan avec Fauré.
Les mélodies italiennes ensuite, une langue dans laquelle Marina Rebeka excelle tout autant qu'en français : elle est notamment diplômée de l'Accademia Santa Cecilia à Rome et a chanté Rossini, notamment à Pesaro. C'est ici le voyage du transport amoureux. La soprano exprime la langueur des amours terrestres dans le Perchè piangi? de Gounod , puis célestes, la langueur pour le Divin Enfant dans La Madonna col bambino de Saint-Saëns, ensuite, du même, la souffrance d'un berger au bord du Tibre. L'amour encore avec Oh! Dille tu! de Gounod. L'innamorata, une chanson populaire toscane, a inspiré Pauline Viardot, dont un vers, "So innamorata di due giovinoti" semble évoquer la situation amoureuse.
Puis vient la partie allemande avec des mélodies que composa Marie Jaëll sur ses propres poèmes d'amour ou de rupture amoureuse joliment entrelacés avec l'évocation d'une nature romantique. La compositrice était elle-même une pianiste virtuose que la composition passionnait encore davantage et dont Saint-Saëns écrivait : « Mme Marie Jaëll ne veut plus que l’on parle de son talent de pianiste. Elle en est rassasiée et ne vise qu’à la haute composition. Ses premiers essais ont été tumultueux, excessifs, quelque chose comme l’irruption d’un torrent dévastateur ».
Pauline Viardot avait étudié le piano sous la férule de Franz Liszt, Chaminade et Jaëll furent de grandes pianistes, ce qui doit ravir le pianiste et chef de chant Mathieu Pordoy qui accompagne Marina Rebeka de son immense talent .
Le russe n'a pas de secret pour la soprano née à Riga dans une famille mixte : son père avait des racines biélorusses et de la famille près d'Arkhangelsk, bien qu'il soit né à Riga ; sa mère lettone est revenue dans son pays natal de Krasnoïarsk, où son père avait été exilé. Pauline Viardot a composé ses mélodies russes sur des poèmes de Tourgueniev, de Fiodor Tiuouttchev, d'Afassani Fet et de Pouchkine. Il y est question de la nature (la fleur, le saule) et du chant des oiseaux (la mésange à tête noire et le rossignol) ou d'une sérénade, celle d'un rossignol encore, qui a l'effet d'une berceuse. Le CD se termine comme un rideau qui se ferme par l'Invocation de Pouchkine : ce poème met en scène un homme qui à la clarté de la lune dans un cimetière appelle une femme qu'il a aimée, sa Leila dont il espère apercevoir le fantôme, enfer ou ciel qu'importe !
Quel beau parcours nous font vivre Marina Rebeka et Mathieu Pordoy, depuis l'appel exotique de l'invitation baudelairienne jusqu'à la veillée amoureuse funèbre de Pouchkine. La soprano apporte de sa voix admirablement projetée, ample et volumineuse la palette des émotions romantiques dans une variété d'expressions nuancées soutenues par une technique de chant sans faille. On se choisit son meilleur fauteuil pour s'embarquer dans un voyage autour de sa chambre et on se laisse séduire par la beauté des poésies, dont le livret fournit les textes et leur traduction anglaise, et plus encore par la voix exquise de Marina Rebeka, qui en exprime le kaléidoscope enchanté des couleurs musicales, et par la voix complice du piano de Mathieu Pordoy.
Références
Marina Rebeka & Mathieu Pordoy
VOYAGE
Enregistré par Edgardo Vertanessian au studio de la radio lettone à Riga, Lettonie, en mai 2021
Un projet réalisé avec le soutien du Palazzetto Bru Zane.
© & ℗ 2022 Prima Classic 2022
Photo Tatyana Vlasova
Actualité
Marina Rebeka se trouve actuellement pour deux soirées au Festival d'opéra de Munich (ce 29 juin et le 2 juillet), où elle interprétera le rôle de Leonora dans le Trovatore de Verdi.
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