mercredi 31 octobre 2018

Halloween made in Germany : La légende de la dame blanche

Détail d'une estampe d'Emile Vernier

Le quotidien parisien Le Petit Parisien du 13 novembre 1886 racontait la légende allemande des apparitions de la dame en blanc. Voici l'article de Jean Frollo :

Une Légende Allemande

On annonce de nouveau que l'Empereur d'Allemagne a eu des syncopes réitérées, signes d'une fin prochaine.

Et, à ce propos, les journaux berlinois font revivre une vieille légende teutonne. L'Allemagne dispute à l'Italie la palme de la superstition de l'autre côté du Rhin comme au delà des Alpes, on voit tirer de vains présages d'accidents fortuits.

Pendant que beaucoup d'Italiens, même instruits et éclairés, sont convaincus qu'il existe des gens ayant « le mauvais œil » et portant malheur, un grand nombre d'Allemands croient à des légendes mystérieuses, à des apparitions de spectres annonçant des événements importants.

A Rome, sous le pontificat de Pie IX, qui passait pour " jeter des sorts ", la population cléricale se prosternait sur le chemin du Pape; mais presque tout le monde lui faisait en cachette les cornes, ce qui est, paraît-il, le signe consacré pour conjurer le Destin. A Berlin, en ce moment, on se parle tout bas, avec effroi, des récentes manifestations de  la Dame blanche des Hohenzollern,  démon familier qui, depuis quatre siècles, est censé apparaître quand la mort menace un membre de la dynastie ou quand une catastrophe se prépare pour la Prusse.

La légende de la Dame blanche allemande est si enracinée qu'on cache au vieil empereur Guillaume des bruits capables d'avoir une fâcheuse action sur un homme affaibli par l'âge si on lui en parlait, il y verrait probablement un avertissement de sa fin prochaine.

D'après un historien berlinois, M. de Minutoli, qui a publié un livre sur cette légende et relaté sérieusement toutes ses apparitions depuis quatre siècles, le fantôme se serait montré pour la première fois en et serait le spectre d'une certaine comtesse Cunégonde, princesse de Hohenzollern, qui, de son vivant, aurait assassiné ses enfants. Elle était veuve et avait deux fils qu'elle crut un obstacle à son second mariage avec un seigneur dont elle était éprise.

Une nuit, elle fit périr les pauvres petits en leur enfonçant dans la nuque, pendant leur sommeil, une des épingles d'or qui attachaient ses cheveux.

En punition de ce crime, sa dépouille mortelle ne pourrait rester en repos dans sa tombe on la verrait errer la nuit dans les châteaux royaux, à la veille de toutes les grandes circonstances.

Au commencement de notre siècle, lors de l'occupation de l'Allemagne par les armées françaises, la Dame blanche fit beaucoup parler d'elle.

Les habitants du pays disaient que c était pour harceler les oppresseurs de la patrie germanique.

On prétendit qu'elle était apparue à Napoléon, lors de son séjour au château de Bayreuth, en au début de la fatale campagne de Russie.

L'Empereur, qui était fort superstitieux, vit-il en effet quelque mauvais plaisant qui aurait réussi à s'introduire dans sa chambre, ou fut-il le jouet d'une hallucination ? Toujours est-il que, revenant dans cette ville l'année suivante, Napoléon refusa d'habiter un château « hanté par les esprits » et alla se loger dans une maison particulière. 

L'historien allemand dont je parlais tout à l'heure, M. de Minutoli, semble croire que la Dame blanche était un spectre en chair et en os: d'après lui, si on avait été au fond des choses, on aurait trouvé l'explication des apparitions.

Ainsi, en 1540, le margrave Albrecht, qui n'était pas craintif, s'étant caché pour saisir au passage la Dame blanche, se précipita sur elle et la frappa de son poignard.

Le lendemain matin, on trouva le cadavre d'un domestique le coeur traversé d'un coup de couteau, qui était évidemment la victime du margrave.

Mais la superstition ne voulut pas en démordre, et on déclara que ce malheureux avait été tué par la Dame blanche, parce qu'il avait tenté de l'espionner.

Un autre margrave, qui s'appelait Philippe de Brandebourg, s'était fait détester de tous ceux qui l'approchaient. Un jour, en 1617, eu entrant dans sa chambre, il aperçut la Dame blanche, assise devant sa table, dans son fauteuil. Il en mourut de peur, dit-on.

Ce qui est probable, c'est que ce prince si trouva inopinément en face d'un meurtrier qui, pour éviter un procès, eut l'idée de se servir de la crédulité publique et mit sur la compte de la Dame blanche une mort obtenue par un procédé fort peu mystérieux. A partir du 1er janvier 1598, la Dame blanche fut censée apparaître à Berlin, peu de jours avant la mort des divers souverains. La nomenclature n'a rien de particulièrement intéressant il semble que, dans l'agitation causée au palais par la maladie du monarque, on était disposé à voir un fantôme très aisément.

C'est surtout de 1799 à 1802 que les visites de la Dame blanche se multiplièrent. La ville de Berlin était possédée d'une sorte de folie. On prit pour le fantôme tantôt un rideau ou un tapis flottant au vent, tantôt une jupe ou un manteau.

Une certaine nuit, un jeune officier se trouva brusquement nez à nez, dans un corridor du château, avec la Dame blanche ; au lieu de s'enfuir, il la saisit par le bras et reconnut une noble comtesse, qui fut sans doute fort embarrassée pour expliquer sa présence, à pareille heure, hors de son logement.

Une autre fois, le poste de garde fut terrifié en distinguant, au clair de la lune, la Dame blanche se promenant mystérieusement autour d'un bassin; comme ils étaient en nombre, les vaillants soldats prussiens marchèrent à la découverte et se trouvèrent en présence d'une cuisinière qui, ayant trop chaud dans sa chambre, prenait le frais en léger costume.

Probablement les apparitions qui occupent en ce moment les gens superstitieux en Allemagne seraient aussi facilement expliquées mais les esprits crédules et avides du merveilleux ne veulent pas cesser de croire au surnaturel.

Quand l'Empereur Guillaume mourra, il se trouvera des Allemands pour attribuer sa fin à la Dame blanche des Hohenzollern, et non à son âge presque séculaire.

La bêtise, elle, est Immortelle.

JEAN FROLLO


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