mardi 11 septembre 2018

Louis II de Bavière sur le bas-relief de la Germania de Niederwald

Le Niederwalddenkmal (Monument du Niederwald) est situé à la lisière du parc naturel du  Niederwald, surplombant le Rhin et la ville de Rüdesheim am Rhein, au sud-ouest du land de Hesse. À ses pieds s'étendent les vignobles du mont de Rüdesheim.

Le monument devait commémorer l'unification de l'Allemagne en 1871. Sa conception et sa construction ont duré douze ans, depuis la décision initiale jusqu'à son inauguration le 28 septembre 1883. Il a fallu six ans pour la construire.

Louis II à gauche de la photo, élément du bas-relief
Crédit photo Moguntiner
En 1911, projet avait été fait d'agrandir considérablement la terrasse et d'y installer des groupes statuaires équestres géants, un des groupes comportant une statue de Louis II. Le projet fut abandonné. La presse française avait évoqué l'élargissement de la terrasse que devaient décorer de nouveaux groupes équestres comportant notamment une représentation du roi Louis II.

Projet d'élargissement de la terrasse
in journal Le Temps (1911)

Vu de France: la Germania suscite des réactions diverses

Malgré les souvenirs encore cuisants de la défaite, certains visiteurs français se montrèrent impressionnés par l'imposant monument. Ainsi de l'homme politique catholique alsacien Charles Grad  (1842-1890), dont la correspondance fut publiée en 1989:

"[...] Comme tout le monde qui vient ici, je me suis décidé à regarder la Germania de près ; Le matin, au premier rayon du soleil levant, sitôt debout, j'ai dit bonjour au vieux Rhin devant ma fenêtre. Le soleil, si gai à son lever, m'a fait prendre le chemin du Niederwald. Pas le bon chemin pourtant, car je me suis égaré en grimpant à travers les vignes, faute de poteaux indicateurs. Mais rien ne me répugne comme de retourner en arrière. Le monument se trouvait devant moi, au-dessus de ma tête. J'enjambai clôtures et murs en pierres sèches pour marcher droit sur la Germania, sans souci des sentiers qui décrivent trop de lacets, font trop de détours à travers le vignoble. Malgré la montée, la statue ne grandit pas vite. Décidément elle est loin de produire à distance l'effet du Saint-Charles BORROMEE à Arona, au-dessus du Lac Majeur, ni de NotreDame-de-France au Puy, deux monuments dont les proportions sont autrement colossales. Par contre, la Germania du Niederwald gagne à être vue de près. Elle fait alors meilleure figure, sur son haut piédestal. Debout, devant son trône, elle a une main posée sur son épée au repos, tandis que de l'autre elle élève et présente la couronne impériale. Toute l'attitude, surtout le visage exprime un calme antique. C'est une belle tête, sereine, où le sentiment de la force se mele à la finesse de l'expression, avec la confiance en sa valeur. Couronnée de feuilles de chêne, elle embrasse du regard tout le pays du Rhin à ses pieds, comme pour l'inviter à la paix, tandis que sa chevelure flotte au vent.

Pardon, excuse, il faut me reprendre ici. La chevelure de la Germania du Niderwald ne flotte pas du tout, car la brise aurait de la peine à secouer une masse métallique au poids de 50 quintaux. Toute la statue doit peser de 500 à 700 quintaux, je ne sais au juste. Sa taille est de 12 mètres, tandis que la hauteur du piédestal atteint 25 mètres. Elle a été fondue dans les ateliers de MILLER à Munich, non pas d'une pièce, mais en morceaux de 200 à 480 quintaux, agencés avec soin tel que les joints ne sont pas visibles. A elle seule, l'épée mesure 8 mètres. Le monument s'élève à la lisière d'une foret de chênes sur le bord du plateau au-dessus des vignes de Rüdesheim, au milieu d'une terrasse entourée de balustrades. Le piédestal est en pierres du Teutoburgerwald, d'un grès clair, mais que le temps rendra plus foncé, comme au monument d'Arminius. Sur une saillie du socle inférieur, l'artiste a placé un groupe de figures représentant le Rhin et la Moselle, hautes de 3 mètres. [...]

L'enthousiasme de Charles Grad n'était pas partagé par tout le monde en France, comme le prouve cet article à l'humour très grinçant et revanchiste de l'éditorialiste Démocritos qui évoque l'inauguration du monument dans La Presse du 3 septembre 1883:

"CHRONIQUE DU NIEDERWALD

(Par dépêche)

A peine arrivé au Niederwald, je me suis fait conduire devant le monument national, la pyramidale Germania.

Vous peindre le coup d'œil, cela serait trop long. Bornez-vous à savoir que la personnification de l'Allemagne ressemble comme deux baleines à ces belles et opulentes Gretchens dont parle  Anastasius Grunn dans son poème Un rêve de charcutier. Elle est en bronze des pieds à la tête mais elle n'en parait pas moins prête à défaillir. La pauvre femme est mal remise des couches laborieuses qui ont donné un empereur aux populations germaines. On l'a élevée à grands frais sur un socle de granit pour lui donner un peu d'air. Elle goûte peu cette délicate attention : tout dans son attitude molle et languissante trahit une envie démesurée d'aller se coucher. Pauvre Germania!

Ils sont là plus de cent mille, venus des quatre coins de l'Allemagne pour assister à ce qu'en style d'empire on appelle « le couronnement de l'édifice ». C'est une fête inouïe. Du pied de la statue, le regard embrasse une interminable succession de tables s'alignant à perte de vue sur la rive droite du Rhin. Guillaume tient cour plénière, comme au Moyen Age. Les émananations de la choucroute se marient à la fumée des pipes de faïence. On valse sous la coudrette, on saute sur les gazons. Germania voit tournoyer la kermesse

Autour de son piédestal
Et Bismarck, conduit le bal (bis),

comme dans la chanson de Méphisto. J'entends dire beaucoup de bien des figures allégoriques qui décorent le monument. Il n'y a qu'une voix parmi les connaisseurs pour louer le bas-relief qui se détache sur le socle inférieur. On y voit le Rhin confiant à la Moselle l'avant-garde de la frontière. Le vieux fleuve étale des formes dont la maigreur de squelette rigoureusement mythologique rappelle ce vers justement célèbre de Boileau:

Le Rhin tranquille et fier du progrès de ses os.

La Moselle joué amoureusement de la prunelle devant cette auguste pièce anatomique, et reçoit de ses mains un porte-voix allégorique qui doit symboliser la vigilance, mais qui entre nous s'acquitte passablement mal de cette tâche trop subtilement emblématique.

Mon guide m'a dit que tout d'abord l'artiste avait confié aux divinités aquatiques l'échange d'un glaive, mais qu'il s'est ravisé, craignant de malicieuses allusions sur ce coup d'épée dans l'eau. L'art et la vérité y ont perdu toute la fête du Niederwald était dans ce coup d'épée.

Deux grandes figures debout sur la face contiguë représentent, l'une la Guerre, l'autre la Paix. La première a pour attribut la ferraille conventionnelle, et, entre autres armes, l'épée courte des Romains, dont la forme ne vit plus de nos jours que dans les couteaux à papier. La seconde présente au public, avec un petit air malin, la classique corne d'abondance, salutaire mémento pour les maris allemands.

Le principal motif de sculpture du monument, après la mélancolique Germania, c'est l'apothéose de l'empereur Guillaume. Le père de « notre Fritz » est à cheval, le pot en tête, l'épée à la main; d'un bras il montré le Rhin et de l'autre. il s'écrie:« Wacht am Rhein! »

Autour du chef suprême se pressent les maréchaux et les généraux de l'empire. M. de Moltke, le grand tacticien, les yeux baissés et les deux mains rapprochées, compte sur ses doigts. Il calcule le rapport de trois contre un, qui contient le secret du courage de ses soldats. Bismarck contemple ces savantes supputations avec un air d'inquiétude admirablement rendu par le modeleur. Il semble dire in petto: « Trois contre un! être ou ne pas être; voilà la question. » II est manifeste; en effet, que si à Wœrth les Allemands et les Français avaient été dans la proportion de trois contre trois, dame Germania ne ferait pas aujourd'hui le pied de grue sur son socle de granit, et le Rhin ne refléterait pas dans son vert miroir toute cette quincaillerie allégorique.

Germania est « la femme aux puissantes mamelles », sinon « aux durs appas » comme il convient à la mère de tous les Teutons. C'est la grosse Charlotte coupant le pain en tartines à son peuple de marmots et faisant pâmer d'amour les Werthers trop sensibles. Voilà, certes, une plaisante image dé la. défense nationale! Mieux inspirés, les Allemands auraient élevé une statue au Hasard, ce pseudonyme de Dieu.

Il n'est personne au monde qui ne reconnaisse que le hasard a été le principal auteur de leur fortune militaire. C'est un coup du sort qui a lié la victoire à leurs drapeaux. Ils ne l'ignorent point; et la mortelle inquiétude que le sculpteur a mise dans les traits tourmentés du chancelier de fer et de bronze est la fidèle expression de la vérité.

« Trois contre un » Voilà la base de la politique et de la diplomatie allemandes. Bismarck tremble à l'idée de se mesurer un jour à forces numériques égales avec la France. Notre armée reconstituée est son éternel cauchemar. Une terreur invincible lui étreint le cœur et ébranle sa raison. Il s'est adjoint l'Autriche-Hongrie; il a appelé ensuite l'Italie, à ses côtés. Cela ne lui a point suffi. Ses agents diplomatiques sont allés à Belgrade, à Bucharest, à Sofia, raccoler tout un brelan de roitelets; mais il ne s'est point encore senti rassuré. Dans son affolement, il a donné ses uhlans à garder à un estudiantino couronné.

- Et maintenant, demande-t-il à Moltke avec angoisse, sommes-nous trois contre un? 

Moltke secoue la tète avec humeur. Bismarck reprend:

- Est-ce assez ? dites-moi n'y suis-je point encore? 
- Nenni. 
- M'y voici donc ? 
- Point du tout. 
- M'y voilà!
- Vous n'en approchez ̃ point!

                                             La chétive pécore
                                             S'enfla si bien qu'elle creva.

Elle crèvera, n'en doutez point; le mot est dur, mais il est juste: elle crèvera! la replète Germania. Plaignons la pauvre femme :elle subit le joug. Cette nouvelle Suzanne n'a pas su comme son émule biblique résister aux terribles vieillards qui l'ont assaillie. La voilà grosse de leurs œuvres.

« N'insultons pas une nation qui tombe » Disons plutôt à la triste Germania « Courage, ma pauvre amie. Tout n'est pas perdu. Vous êtes grosse d'un empereur, mais vous accoucherez peut-être de la République; Ce sera une fière délivrance !»

Là-dessus je me suis éveillé.

" - Hé! hé! dit une voix, parbleu! mais le voilà. 
Messieurs, dis-je en bâillant, entrez, j'ai fait, un somme. "

DÉMOCRITOS. "

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