dimanche 9 septembre 2018

Le comte de Holnstein, "le meilleur ami de Louis II de Bavière".

Le comte de Holnstein
A l'occasion du décès du comte de Holnstein (Maximilian Karl Theodor von Holnstein aus Bayern, né le 19 octobre 1835 à Munich et décédé le 1er février 1895 à Schwarzenfeld ) en février 1895, la Bibliothèque Universelle et Revue suisse entreprenait de raconter sa vie dans sa Chronique allemande. Voici comment cette revue commémorait la vie et l'oeuvre du comte:

"On a laissé mourir sans beaucoup parler de lui, au commencement de février un personnage dont les mémoires constitueraient un curieux, dramatique et parfois invraisemblable roman, le comte de Holnstein en Bavière. Je doute qu'il soit possible de raconter plus tard sa vie sans être accusé de saper les bases de nos institutions. Hâtons-nous!

Fils d'un chambellan du roi Maximilien de Bavière, il tenait de près aux Wittelsbach, car il avait épousé la baronne de Gumppenberg-Pöttmes, fille d'un mariage morganatique du prince Charles, grand-oncle du roi Louis II. Il vint à la cour de Munich il y a quelque trente ans. L'attention avait été attirée sur lui par un duel où il avait eu le malheur de tuer un de ses proches parents. Mais cette aventure tragique ne lui avait pas nui et il prit très vite un ascendant extraordinaire.

Quand le roi Othon de Grèce eut été détrôné, le comte Holnstein fut chargé des négociations relatives aux créances que ce prince faisait valoir contre le gouvernement hellénique. Il sut intéresser M. de Bismarck à cette affaire. Le premier ministre prussien parla haut à Athènes et parvint à faire rendre gorge aux Grecs. C'est une recette qui s'est perdue depuis, au grand désespoir des porteurs de la rente hellénique. De petites causes ont souvent des effets durables et imprévus. Le succès des revendications de l'ex-roi Othon devait influer sur l'histoire ultérieure de l'Allemagne, car il valut à M. de Bismarck la reconnaissance de la maison royale de Bavière, si bien qu'elle lui pardonna facilement en 1866. Le comte de Holnstein était devenu l'homme de confiance du premier ministre de Prusse, comme il était le favori de Louis II. Après Sadowa, il sut persuader au roi de Bavière que l'intervention de M. de Bismarck avait sauvé l'indépendance de ses états. Dans la période qui suivit, il ne cessa d'informer Berlin de ce qui se passait à Munich et d'y agir conformément aux vues de la Prusse. En 1870-71, il se rendit plusieurs fois au quartier-général de Versailles. Il en rapporta l'idée, suggérée par M. de Bismarck, de la lettre dans laquelle Louis II devait offrir la couronne impériale au roi de Prusse au nom de tous les princes alliés. Ce n'était pas facile. Comment déterminer un souverain, très jaloux encore de son autonomie, à cet acte décisif ? M. de Holnstein fit ou laissa croire à Louis II qu'il s'agissait d'une couronne élective, comme celle de l'ancien empire germanique, et insinua à son royal cousin qu'il avait des chances sérieuses de succéder à Guillaume Ier et d'être le deuxième empereur allemand de l'ère nouvelle 1.

C'est surtout par les chevaux que Holnstein tenait le prince. Celui-ci, dans son faste, voulait des écuries admirablement montées. Il lui fallait des coursiers capables de faire avec brio le service des montagnes qu'il leur demandait. Le comte devint grand-écuyer, puis grand-veneur, et s'acquitta de ses fonctions délicates avec une judicieuse prodigalité. Longtemps il caressa les goûts extravagants du souverain. C'est lui qui l'accompagna dans ses mystérieux voyages à Versailles pour y étudier en détail la résidence du plus grand des Louis, que le roi de Bavière avait entrepris de copier à Herrenchiemsee en l'agrandissant et en la rendant plus somptueuse. Quand Louis II fut pris d'une insurmontable horreur du genre humain, vécut la nuit, s'isola dans ses châteaux fantastiques, ne voulut plus voir que ses domestiques, qu'il battait comme plâtre, et des simples soldats, il fit longtemps une exception pour le comte de Holnstein. Celui-ci l'approchait encore à une époque où la porte des résidences était depuis dix ans fermée à M. de Lutz, président du conseil, et aux ministres d'état bavarois. Le grand-écuyer tomba cependant en disgrâce en 1883. La malemparée [en Suisse, la malemparée désignait la mauvaise tournure d'une affaire, d'un événement, NDLR] était venue. La cassette royale se débattait avec des difficultés insurmontables. M. de Holnstein, après avoir négocié de multiples emprunts, avait fini par refuser au roi de continuer.

Ils devaient se revoir encore, dans des circonstances singulières et tragiques. En juin 1886, la situation était devenue intenable. Les ministres ayant refusé de contresigner les dernières demandes d'emprunt de Louis II, celui-ci les avait destitués et avait chargé son coiffeur de former un nouveau cabinet. Il s'était adressé au comte de Paris, promettant la neutralité de la Bavière dans la prochaine guerre avec la France en échange de quelques millions. Alors enfin on se décida à le mettre sous tutelle. Holnstein fut chargé d'aviser M. de Bismarck de ce qui se tramait et de solliciter l'autorisation nécessaire à Berlin, puis de préparer les documents servant à constater la folie du malheureux prince. Quatre aliénistes rédigèrent une consultation déclarant Louis II totalement irresponsable et incurable. Puis les agnats de Bavière proclamèrent la régence du prince Luitpold. Holnstein devint l'un des deux curateurs du roi et fut chargé d'aller prévenir son pupille.

Il avait déjà traversé bien des heures difficiles et rempli bien des missions délicates, mais celle-ci fut certainement la plus croustilleuse de son existence.

Louis II était informé de ce qui se passait à Munich, des démarches des agnats, des ministres, des aliénistes. Par qui ? On ne l'a jamais bien su. Peu de jours avant l'institution de la régence, il avait télégraphié au prince Louis-Ferdinand: « Quoi qu'il arrive, sauve mes châteaux. » Il n'avait cessé de circuler entre ses diverses résidences du Tyrol bavarois, Berg, Lindenhof, Hohenschwangau. Puis il était rentré dans son merveilleux Neuschwanstein. Le 8 juin, il s'était mis à table pour dîner, comme d'habitude, à minuit. Puis il était sorti, voulant faire au clair de lune une promenade dans la montagne. Un équipage à quatre chevaux l'attendait devant la porte. Derrière le siège du cocher le roi lut, comme jadis Belsatzar sur le mur de la salle de festin, un petit placard qui portait « Majesté, trahison, méfiez-vous !» Il rentra aussitôt au château et ordonna une enquête pour découvrir l'auteur de ce mystérieux avertissement. Cette enquête eut le succès habituel de cet ordre d'opérations: elle n'aboutit pas. Néanmoins, le roi se mit au lit à 6 heures du matin, et s'endormit. Il fut réveillé par Niggl, un de ses valets préférés, qui venait l'avertir des préparatifs faits pour s'emparer de sa personne et lui proposait de s'enfuir sous un déguisement avec lui et le cocher Osterholzer. Le roi refusa. Mais il fit des préparatifs de défense : des gendarmes furent mandés en hâte ; on mobilisa les pompiers du village de Schwangau et une troupe de paysans dévoués des environs. Cela constituait une garnison assez respectable pour Neuschwanstein, la formidable citadelle moyen âge, perchée comme un nid d'aigle sur le rocher qui surplombe les gorges vertigineuses de la Pollat. Le roi rédigea le lendemain une proclamation à son peuple, dénonçant la forfaiture de ses ministres, et attendit les événements. C'est le 11 juin que le comte de Holnstein se mettait en route, flanqué du baron de Crailsheim, aujourd'hui premier ministre, du Dr von Gudden et d'un de ses assistants, du Dr Rumpler, conseiller de légation, qui devait verbaliser, et du lieutenant colonel baron de Washington, désigné comme adjudant du roi pendant sa captivité. Le 10 juin, à 3 ou 4 heures du matin, ces dignitaires, après avoir fait en tapinois la route qui serpente dans les bois pour gagner Neuschwanstein, arrivaient au sommet de la montagne devant la grande porte d'entrée. Les gendarmes leur refusèrent le passage, malgré les papiers de légitimation dont ils s'étaient munis. Toutes les négociations furent inutiles. La commission se résigna à retourner sur ses pas, s'arrêta à Hohenschwangau, la vieille résidence du roi Maximilien, qui, au pied de la ;montagne, se mire dans les eaux du lac des Cygnes, télégraphia à Munich et attendit des instructions nouvelles.

Elle n'attendit pas longtemps. A peine M. de Holnstein et ses collègues étaient-ils installés, qu'on fit entrer un sergent de gendarmerie muni d'un ordre autographie du roi, lui ordonnant de les arrêter et de les ramener à Neuschwanstein de gré ou de force. Il fallut céder. Les délégués du régent firent de nouveau l'ascension. Cette fois les portes s'ouvrirent devant eux et, dans la cour, ils se trouvèrent en présence d'une troupe de paysans au comble de l'exaspération et contre lesquels les gendarmes eurent quelque mérite à les protéger. Ils furent incarcérés dans le Thorbau. Ils y passèrent un très mauvais quart d'heure, car ils étaient à la merci d'une valetaille fanatisée. Louis II avait donné l'ordre de les fouetter jusqu'au sang, de leur crever les yeux et de les jeter dans la Pollat. Cet ordre ne fut pas exécuté, mais l'ancien favori du roi vierge et ses compagnons l'échappèrent belle.

Quelques heures plus tard, un fort peloton de gendarmes préalablement assermentés au nom du prince Luitpold, délivrait les prisonniers. On sait la suite le roi fut saisi par les gardes du Dr Gudden au moment où il sortait de son appartement pour voir une dernière fois, disent les uns, la salle des fêtes, ruisselant de dorures, qu'il avait aménagée au sommet du Ritterbau, ou, disent les autres, pour se précipiter dans l'abime. Il ne fit pas de résistance, se bornant à dire à l'aliéniste « Je vous connais, vous me devez tout, mais vous n'êtes pas un Allemand, vous êtes un Suisse. » Puis il se résigna en apparence à son sort, se laissa conduire tranquillement à Berg, y fut très calme, et vingt-quatre heures après s'en fut promener à travers le parc avec le Dr Gudden, qu'il précipita dans le lac, et se noya avec lui.

Depuis, le comte de Holnstein était rentré dans l'ombre. Le peuple de la Haute-Bavière, resté fidèle à la mémoire de son malheureux roi, ne lui avait pas pardonné. Il ne se serait pas promené seul impunément dans la région de Füssen et de l'Ammergau. Quant au régent, son train de maison, ses goûts et sa liste civile ne comportaient pas les fastueuses écuries de Louis II. Il ne tarda pas à supprimer le poste de grand-écuyer. Le comte de Holnstein est mort à soixante ans. C'était un des plus élégants cavaliers de l'Allemagne. Il savait être infiniment séduisant, et sa carrière montre qu'il fut un diplomate de cour accompli. "

Source: Bibliothèque universelle et Revue suisse, 1895, Bureau de la Bibliothèque universelle (Genève) et Delafontaine et Rouge (Lausanne), pp. 628 à 633.

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