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vendredi 26 septembre 2025
Première édition de la Biennale d'Opéra de Séville
mardi 23 septembre 2025
L'Orfeo de Monteverdi, une étude du musicologue Henry Prunières
Musicologue français, Henry Prunières (1886-1946) est souvent connu comme le fondateur de la Revue Musicale en 1920 mais aussi de la Société internationale de musicologie en 1927, faisant de lui une figure marquante de l’entre-deux guerres. Ses nombreux ouvrages portent principalement sur le XVIIe siècle, avec une prédilection pour Lully, Monteverdi et Cavalli. Dans La Revue Musicale du 1er août 1923 il publia les fruits de ses recherches et de ses réflexions sur l'Orfeo de Claudio Monteverdi.
Mais un doute le prend. Eh bien, s’il échoue, il demeurera avec elle chez les morts et il dit un grave adieu à la terre et au soleil.
C’est merveille dans ce chant comme les périodes s’équilibrent, se balancent tout en se modelant exactement sur la poésie. C’est vraiment la mélodie en liberté.
La ligne mélodique est peu accusée et il s’agit en somme plutôt d’un récitatif fort fleuri que d’un air au sens où nous l’entendons. Alors que dans les récits dramatiques Monteverdi avait paru s’inspirer de Peri, dans l’air strophique d’Orphée, Caccini est pris pour modèle. Morceau de virtuosité avec ses trilles, ses notes redoublées, destinées à faire valoir la voix du chanteur, mais qui reste toujours expressif. Par instant la voix paraît sangloter :
La basse obéit à ce rythme imposé et les ritournelles sont construites comme celles des scherzi musicali sur un motif répété en séquences rigoureuses à la basse (12). La forme rêveuse et mélancolique de ces chants est d’ailleurs bien dans le ton des Airs de Cour, encore que la ligne mélodique reste très italienne. On trouve fort peu de scènes en lesquelles Monteverdi fasse intervenir simultanément les voix des deux ou trois solistes. Il n’y a pas encore d’intermédiaire entre la monodie et le madrigal. Le seul morceau qui déjà présente le caractère d’un véritable duo est celui que chantent au dernier acte Apollon et Orphée en montant au ciel. (13) Les deux voix qui se pourchassent l’une l’autre en imitations canoniques ou s’unissent en longues suites de tierces, les traits et les fioritures dont elles sont ornées, font de ce morceau l’un des plus anciens exemples du duo classique d’opéra.
vendredi 12 septembre 2025
Bayreuth Baroque 2025 — Récital Porpora et Haendel de Julia Lezhneva et Franco Fagioli
Les deux chanteurs se connaissent depuis longtemps. En 2016 déjà, ils interprétaient Rinaldo et Almirena en version de concert à la Monnaie de Bruxelles et au Théâtre des Champs-Élysées dans le Rinaldo de Haendel. En 2020, ils avaient brillé lors du premier Festival Bayreuth Baroque en Adalgiso et Gildippe dans Carlo il Calvo de Nicola Antonio Porpora. En 2024, ils interprétaient à Versailles Acis et Galatée dans le Polifemo du même compositeur. Trois exemples parmi tant d'autres qui leur ont constitué un bagage solide pour leurs retrouvailles bayreuthoises.
L'orchestre baroque versaillais de 19 interprètes s'est installé sur la scène qui a gardé comme écrin le décor de palais vénitien conçu par Helmut Stürmer pour le Pompeo Magno de Cavalli. Le violoniste Stefan Plewniak anime le spectacle avec un art de la mise en scène consommé. Avec ses longs cheveux aux mèches virevoltantes, sa stature imposante revêtue d'une longue redingote de satin noir, il dirige l'orchestre avec des mouvements emphatiques de la main, du bras et de tout le corps même, et donne une interprétation débordante de passion et d'énergie du parcours musical de la soirée. Le dialogue de deux violons qui s'expriment dans une espèce de danse est un moment aussi captivant que ravissant.
La soirée enfile des perles musicales sur le somptueux collier des arias da capo virtuoses de l'opera seria, des arias qui, dans leur troisième mouvement, lors du retour final du thème principal, laissent aux chanteurs une grande liberté de vocalises et d'ornementations. Le menu du jour est impressionnant avec ses arias passionnés qui partent en fusées, ses vocalises haut perchées, la virtuosité et l'exubérance sonore de l'orchestre et des chanteurs. Au compteur du nombre de notes c'est Porpora qui l'emporte sur Haendel. On se souviendra que Porpora, en dehors de son travail de compositeur, était également connu comme un professeur de chant redouté qui, bien qu’ayant tendance à maltraiter ses élèves, savait les mettre en valeur. Parmi ses élèves figuraient des castrats de grand renom, dont certains sont encore célèbres aujourd'hui, tels que Farinelli, Caffarelli et Antonio Uberti, qui adopta le nom de scène Porporino en hommage à son professeur. La musique de Porpora était extrêmement populaire auprès des chanteurs de son époque ; en tant que professeur de chant et expert en voix, il s'adaptait aux qualités spécifiques de chaque ensemble dans ses opéras, flattant les voix des chanteurs et poussant leurs capacités vocales à leurs limites.
Des applaudissements nourris, des cris et des bravos sonores, une standing ovation suivis de rappels sont venus saluer cet excellent orchestre, son violoniste magicien et ces deux merveilleux chanteurs.
mercredi 10 septembre 2025
Bayreuth Baroque 2025 — Pompeo Magno de Cavalli ou le triomphe de l'excellence
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Max-Emanuel Cenčić (Pompeo Magno) et Valer Sabadus (Servilio) |
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Nicolò Balducci (Sesto), Mariana Flores (Issicratea) |
Ce grand musicien trop oublié nous apparaît avec sa force évocatrice et expressive, sa fougueuse imagination, son sens décoratif, sa vigoureuse sensualité, sa puissance dramatique comme une sorte de Tintoret de la Musique. Mais tandis qu’il nous suffit d’entrer dans un musée pour admirer les toiles rayonnantes de ce grand artiste, il nous faut aller, la plume à la main, chercher dans les partitions de la Marciana les traces du fulgurant génie qui les a créées. Il est pourtant des opéras comme Giasone, Ercole Amante, Scipione Africano, Pompeo Magno... qui pourraient renaître pour notre joie. Quel bienfaisant magicien délivrera la Musique enfermée dans les belles reliures dorées de la Marciana ? Qui saura la rappeler de son long sommeil et la fera sortir à la lumière, tel dans La Virtù dei Strali d'Amore, Meonte délivré des enchantements des sorcières ?
80 ans après la formulation de ce souhait, le bienfaisant magicien s'est enfin matérialisé en la personne de Leonardo García–Alarcón, un chef spécialiste de la musique italienne du Seicento qui fonda l'orchestre baroque de la Cappella Mediterranea en 2005. Il se vit consacré au Festival d'Aix-en-Provence 2013 avec sa direction de l'Elena de Cavalli. Il fit ensuite ses débuts au Palais Garnier en 2016 avec son Eliogabalo du même compositeur. En 2017 il dirigea Il Giasone au Grand Théâtre de Genève et L'Erismena à nouveau à Aix-en-Provence. Elena et Il Giasone ont fait l'objet d'un DVD. On lui doit aussi un CD avec la Cappella Mediterranea et Marianna Flores intitulé Francesco Cavalli. Heroines of the venitian baroque.
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Mühlbacher (Farnace), Contaldo (Mitridate), Flores (Issicratea) |
Leonardo García–Alarcón |
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Dominique Visse (Delfo) et Marcel Beekman (Atrea) |
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Mariana Flores (Issicratea) |
Prochaines représentations
Les 12 et 14 septembre 2025 à l'Opéra des Margraves de Bayreuth.
mardi 2 septembre 2025
1802 — Le scandale de l'enterrement de Marie-Adrienne Chameroy, danseuse à l'Opéra de Paris / Le poème de François Andrieux.
Dans ses Chroniques et légendes des rues de Paris, parues en 1864 chez E. Dentu à Paris, Edouard Fournier (1819-1880) rapporte les tristes circonstances de l'enterrement de Marie-Adrienne Chameroy, danseuse de son métier, décédée à 23 ans des suites d'une couche.
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Saint Roch et son chien sortent de l'église Saint Roch pour en refuser l'accès à la défunte Lithographie coloriée à la main, conservée aux Musées de la Ville de Paris et au British Museum |
" [...] Le 15 octobre 1802, une des plus agréables danseuses de l'Opéra, mademoiselle Adrienne Chameroy, était morte, dans ce quartier, qui depuis plus d'un siècle était celui des mœurs faciles. Saint-Roch était sa paroisse, on l'y porta. Le curé, M. Mardhuel, en fit fermer les portes, disant qu'une femme de théâtre ne pouvait, même morte, être admise dans le saint lieu et avoir part aux bénédictions de l'Église. Grand scandale et longue rumeur, surtout dans cette partie fort nombreuse alors de la population, que le rétablissement du culte avait fait murmurer, et qui, avec raison, ne pouvait admettre que les églises n'eussent pas été rouvertes pour tout le monde. L'affaire eût sans doute dégénéré en émeute, si le comédien Dazincourt n'eût calmé l'effervescence de ses camarades qui accompagnaient avec lui le convoi, et si un desservant voisin, celui des Filles-Saint-Thomas, devenue succursale de Saint-Roch, n'eût montré plus de tolérance et d'hospitalité. Il ouvrit toutes grandes les portes à la pauvre pécheresse, fit dire l'office pour elle, et l'accompagna jusqu'au cimetière Montmartre, où son tombeau se vit longtemps près de celui que les restes du philosophe Saint-Lambert devaient venir occuper peu de temps après.Le retentissement de cette affaire fut très long. L'opinion publique froissée ne se calma qu'après une satisfaction que le premier Consul [Napoléon Bonaparte] fit un peu attendre, mais qui fut exemplaire et solennelle. Il avait rétabli la religion, et non ses abus ; le culte et non la superstition. Il exigea de l'archevêque que le curé Mardhuel [ou Marduel] serait condamné à trois mois de retraite, et il fit savoir luimême au public, par un article publié dans le Moniteur du 21 novembre suivant, (30 brumaire), la punition infligée au prêtre intolérant. Voici cet entrefilet, comme dirait un journaliste d'aujourd'hui. On y reconnaîtra la griffe du lion. « Le curé de Saint-Roch, dans un moment de déraison, a refusé de prier pour mademoiselle Chameroy, et de l'admettre dans l'église. Un de ses collègues, homme raisonnable, instruit de la véritable morale de l'évangile, a reçu le convoi dans l'église de Saint-Thomas, où le service s'est fait avec toutes les solennités ordinaires. L'archevêque de Paris a ordonné trois mois de retraite au curé de Saint-Roch, afin qu'il puisse se souvenir que Jésus-Christ commande de prier même pour ses ennemis, et que, rappelé à ses devoirs par la méditation il apprenne que toutes ces pratiques superstitieuses, conservées par quelques rituels, et qui, nées dans des temps d'ignorance, ou créées par des cerveaux échauffés, dégradaient la religion par leurs niaiseries, ont été proscrites par le Concordat et la loi du 18 germinal. »Le dernier mot chez nous, même dans les choses sérieuses, est toujours aux faiseurs de chansons et aux plaisants. La chose finie, ils s'en amusent encore. Le rire cette fois vint d'Andrieux, et ce nom suffit pour prouver qu'il fut modéré, du bout des lèvres, et sans grand éclat. C'est dans une brochure en vers de quelques pages qu'il retentit avec une malice plus voltairienne d'intention que d'effet. Elle a pour titre: Saint Roch et saint Thomas à l'ouverture du céleste manoir pour mademoiselle Chameroy.La danseuse se présente au porte-clefs du ciel. Saint Pierre lui dit qu'avant d'entrer il faut passer par l'église, et lui demande si elle n'a pas quelque bienheureux dans ses connaissances. Je dois, répond-elle(2 ), Je dois connaître un saint en ic en oc, Dont à Paris, j'étais la paroissienne, Aidez-moi donc, serait-ce point saint Roch ? On le fait venir. Il questionne la belle, l'interroge sur ce qu'elle a fait dans le monde, et quand elle a répondu, en pécheresse sincère, il la repousse en patron bourru. Elle se désole, saint Pierre la rassure : Consolez-vous, dit l'indulgent apôtre : Quand par hasard un saint nous veut du mal, On peut souvent être aidé par un autre. Adressez-vous au complaisant Thomas Qui par bonheur demeure à quatre pas. Saint-Thomas l'accueille, la bénit, elle monte au ciel, et Andrieux, finit par ces vers d'heureux présage pour la béatification future de l'Opéra tout entier : Ô vous soutiens de ce bel Opéra, Tous que sur terre on fête, on préconise, Qu'on applaudit, et qu'on applaudira, En attendant que l'on vous canonise, Vestris, Millet, Delille, et cætera ; Troupe élégante, aimable, bien apprise, Vous voilà donc en paix avec l'Église ! En paradis chacun de vous ira, Mais que ce soit le plus tard qu'il pourra.Le poète avait dit son mot, les saints voulurent dire le leur. Un rimeur de la même veine le leur prêta, dans une brochure de taille pareille qui a pour titre : Réponse de saint Roch et de saint Thomas à saint Andrieu. Dieu, jouant le rôle du premier Consul, met saint Roch en pénitence, et la brochure se termine ainsi :
Lors tous les saints d'applaudir avec feuLe jugement, la sagesse de Dieu.Saint Thomas part, retourne vers ses filles.Le vieux saint Roch va se mettre sous grilles,Saint Andrieu prend le petit cheminQui le conduit dans le trou de Dabin.C'est chez Dabin que la brochure d'Andrieux avait paru. Sa boutique se trouvait dans un coin du Palais du Tribunat (Palais-Royal) au bas de l'escalier de la bibliothèque.
Telle est la fin de l'histoire de l'enterrement de mademoiselle Chameroy, et du couvent des Filles-Saint-Thomas, dont les cloches ne s'étaient guère réveillées que pour cette pécheresse. [...] "
La bien venue — Le début de Mademoiselle Chameroy en paradis |
Ces jours derniers, une morte encor belle,Du paradis savez-vous la nouvelle ?
Toucha le seuil du céleste manoir.
Elle était pâle; et sa tendre prunelle,
En s'éteignant, jetait une étincelle
Faible, et semblable aux feux mourants du soir.
Le vieux Saint-Pierre , à son poste fidèle ,
Par la pitié se sentit émouvoir :— Ma chère enfant, ma belle demoiselle,A vingt-trois ans, quoi! vous venez nous voir.Que je vous plains !... que la mort est cruelle !J'aurais jadis , soit dit sans vous flatter,Pris grand plaisir à vous ressusciter ,Mais j'ai perdu ce talent efficace.En paradis vous cherchez une place ?Eh! mieux que vous qui peut la mériter ?Vous êtes jeune , aimable , intéressante !Mais apprenez l'étiquette, le ton ;On n'entre pas sans avoir un patron ;Comme à la cour, il faut qu'on vous présente.Pour satisfaire à ce devoir commun,Parmi nos Saints, n'en serait-il pas unQui vous connût ou qui sans vous connaîtreVoulût de vous répondre auprès du maître ?Je briguerais cette faveur pour moi ;
Mais un portier se tient dans son emploi.
Je n'ai point droit à la cour de paraître.
— De vos bontés, répondit Chameroy,Je suis touchée. Autant qu'il m'en souvienne,Je dois connaître un Saint en ic, en oc ?Dont à Paris j'étais là paroissienne....Aidez-moi donc.— Serait-ce point Saint-Roch?— Oui, ma demeure était près de la sienne.À dire vrai nous nous voyions très peu ;Mais je payais avec beaucoup de zèlePour le fêter, pour parer sa chapelle,Pour la façon d'ornement rouge ou bleu ;Que sais-je, moi ! pour l'avent, le carême...Huit jours encor ne sont pas révolusDepuis que j'ai payé certain baptême,Vingt-cinq louis que Saint-Roch a reçusDe fort bon cœur. — Eh ! n'en dites pas plus.Certes, ce Saint aurait mauvaise grâceÀ refuser de vous servir d'appui :En assurance adressons nous à lui.Fort à propos, voilà son chien qui passe ;Voilà le maître... ils ne se quittent point.
— Mon frère Roch, vous venez tout-à-point.J'ai dans ma loge une charmante dameQui vous connaît, et de vous se réclame ;Accourez donc.Roch arrive : — PourquoiMe déranger ? et que veut-on de moi ?La belle expose en tremblant sa requête.Roch l'interrompt, et d'un ton malhonnête :
— C'est bon, c'est bon....que faisiez-vous là-bas ?Votre métier?— Mon art était la danse.Je m'appliquais à former en cadence,À dessiner mes mouvements , mes pas ;Pour mon pays ces jeux ont des appas ;Et chaque soir sur un brillant théâtreAux yeux ravis d'un public idolâtre,Je figurais, dans un ballet charmant,Tantôt la reine, et tantôt la bergère ;On s'enivrait de ma danse légère ;Le magistrat, le guerrier, le savant,La fille assise à côté de sa mère,Venait goûter un plaisir élégant.
— Fi ! reprit Roch, fi ! quelle extravagance !Je ne suis point ami de l'élégance ;Je suis grossier, et dur par piété ;À Montpellier , né de pareils honnêtes,Pouvant jouir de la société,De ses douceurs , j'allai parmi les bêtes.Au fond des bois vivre seul, ennuyé,Ayant mon chien pour tout valet de pied.Sur un fumier j'y mourus de la peste ,Et vous venez d'un air pimpant et leste ,M'importuner de ballets, de plaisirs !La danse ! ô ciel ! rien de plus immodeste.Puisqu'à ces jeux vous perdiez vos loisirs.Soyez damnée, et sans miséricorde.Allez-vous en : que mon chien ne vous morde.
Pierre rougit de ce discours brutal.— Consolez-vous, dit l'indulgent apôtre ;Quand par hasard un Saint nous veut du malOn peut souvent être aidé par un autre.Adressons-nous au complaisant ThomasQui , par bonheur, demeura à quatre pas.
Pierre l'appelle, et lui conte l'affaire.Thomas sourit : — On peut vous satisfaire...Très volontiers... Je veux vous dire un mot ;Éloignons nous ma belle enfant, pour causeEt parlons bas. Ce Saint-Roch est un sot,Un triste fou que la joie indispose,Qui n'a rien vu, qui ne sait pas grand chose,Cela croit tout ; moi, je suis Saint Thomas ;A moins de voir, je dis : je ne crois pas.Fort aisément je croirai, par exemple,Que vous laissez là-bas bien des regrets ;Ces traits charmants qu'ici mon oeil contemple,Un peu changés, ont encor tant d'attraits !Je vois des pieds, je vois des mains charmantes,Et qui devaient être bien caressantes.Elles étaient libérales aussi ;J'en suis certain. Or, pour entrer ici,C'est un grand point, un point cher aux apôtres.Il faut toujours payer avec nous autres,Vous le savez.— Eh bien , s'il est ainsi,Laissons l'emphase et les compliments fades,Reprit la belle, et soixante louisQue mes amis, mes braves camaradesVous donneront.Ces mots à peine ouïs,Thomas ouvrait de grands yeux réjouis :— Aux saints canons quand on est si soumise,Chez nous, dit-il, on est sans peine admise.Venez, venez.Pierre les introduit.Thomas s'avance, et Chameroy le suit.Elle entre au ciel. Son air touchant, modeste,Charme soudain toute la cour céleste.Le bon patron avec ardeur la sert ;Vite il s'empresse, il arrange un concert;Le roi David .avec Sainte CécileFont résonner une corde docile ;On exécute, en genre. italien ,Une sonate, et monsieur Saint-Julien,Ménétrier et racleur de campagne,D'un aigre archet, trop fort les accompagne.Á leurs accents, notre belle dansa.Dieu la voyait, elle se surpassa ;Les chérubins, les thrônes, les archanges ,Étaient ravis, la comblaient de louanges.Le roi David, danseur très vigoureux,Quitta sa harpe, on eut un pas de deuxVraiment divin ; ce fut une soiréeDouce, rapide, au plaisir consacrée.On s'amusa comme des bienheureux;Et le ballet, goûté des trois personnes,Trompa du ciel des longueurs monotones.La Sainte Vierge, au moins de temps-en-temps,Dit qu'il faudrait avoir ces passe-temps ,Bal, opéra, concert ou comédie.
Le Saint-Esprit, qui veut plaire à Marie,Prend la parole: — Élus du paradis,Voilà pourtant ce que la barbarie,Un zèle faux, repousse, excommunie !De ces talents par vous-même applaudis,Vous jouissez, vous sentez tout le prix !Vous les aimez, et Roch veut qu'on les damne !Assurément ce Roch est un profane ;Mais la beauté, les talents sont sacrés.Bien avant nous, ils étaient adorés.Vous le savez, vous avez lu l'histoire.Protégeons les, ils feront notre, gloireEt nos plaisirs. Des arts les favoris,Chers aux mortels, chez nous seraient proscrits!Non, non, jamais...Aux auditeurs ravis,Le mouvement parut très oratoire.Le Saint-Esprit gagna tous les esprits.Décret soudain : conforme à son avis.On ajouta pour laver tout scrupule,Qu'on en ferait rendre à Rome une bulle.O vous, soutiens de ce bel Opéra,Vous, que sur terre en fête, on préconise,Qu'on applaudit et qu'on applaudira,En attendant que l'on vous canonise,Vestris , Miller , Delille , etcetera.Troupe élégante, aimable, bien apprise,Vous voilà donc en paix avec l'église !En paradis chacun de vous ira ;Mais que ce soit le plus tard qu'il pourra.