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samedi 11 janvier 2025

Mazeppa de Clémence de Grandval au Prinzregententheater de Munich ce 19 janvier 2025

Photo de Mihhail Gerts© Kauko Kikkas

Les concerts du dimanche du Münchner Rundfunkorchester (Orchestre de la Radio de Munich) proposent de redécouvrir des opéras moins connus ou oubliés. Ce dimanche 19 janvier, l'orchestre a choisi de présenter l'opéra Mazeppa de Clémence de Grandval, en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane. Le concert est retransmis en direct à partir de 19H05 sur BR Klassik.

Présentation du Münchner Rundfunkorchester

Les femmes ont marqué l'histoire de l'opéra non seulement en tant que chanteuses, mais aussi en tant que compositrices, et ce dès l'âge d'or de cette forme d'art. Il est grand temps de rendre hommage à leurs œuvres ! La Française Clémence de Grandval a été formée, entre autres, par Camille Saint-Saëns. Dans Mazeppa, elle décrit avec brio l'ascension et la chute du héros en titre, un personnage haut en couleur qui a déjà inspiré Tchaïkovski, au milieu de la lutte pour la liberté des cosaques, de la trahison et de la condamnation. L'opéra fut créé au Grand-Théâtre de Bordeaux en avril 1892.

Programme

Clémence de Grandval, Mazeppa, opéra en cinq actes et six tableaux (concertant)

Avec Nicole Car (soprano), Julien Dran (ténor), Tassis Christoyannis (baryton), Pawel Trojak (baryton), 
Ante Jerkunica (basse)

Chœur de la Radio bavaroise
Orchestre de la radio de Munich
Mihhail Gerts Direction d'orchestre

Coproduction avec le Palazzetto Bru Zane

Décor du 2ème acte in Le Monde illustré du 23 avril 1892

Mazeppa, un article de La soirée bordelaise

Pour préparer cette soirée, nous avons retrouvé les textes de présentation donnés par le journal des concerts La soirée bordelaise du 24 avril 1892.

MAZEPPA

Le Grand-Théâtre de Bordeaux donne la première représentation d’un opéra inédit en 4 actes et 6 tableaux ; Mazeppa, dont la musique est de Mme de Grandval et les paroles de MM. G. Hartmann et Ch. Grandmougin. 

Cet essai de décentralisation artistique est un véritable événement pour notre ville, la Soirée Bordelaise croit donc devoir donner le résumé de cet ouvrage et la biographie des auteurs. 

Mazeppa se passe en Ukraine, vers la fin du XVIIe siècle. Nous ne rappellerons pas la légende de Mazeppa, lié sur le dos d’un cheval sauvage. Après une course effrénée à travers les forêts et les steppes, le cheval, épuisé de fatigue, est tombé inanimé en pays d’Ukraine. Le premier acte nous montre Mazeppa étendu à ses côtés, exhalant sa plainte et sa douleur. Il entend les voix des Ukrainiens se rendant au travail ; il les appelle à son aide, Matrêna, la fille de Kotchoubey, guerrier et noble de l'Ukraine, a, la première, entendu ses cris ; elle accourt, le réconforte et le console. Matrêna a devancé dans 1a steppe son père, le vieux chef de tribu ; celui-ci s’avance à son tour vers Mazeppa, le Polonais rejeté de sa Patrie. Sur l’invitation du vieux chef ukrainien, i1 restera au milieu de ses nouveaux amis, et, pour se venger d’un rival cruel, il luttera, s’il le faut contre son propre pays. L’occasion ne tardera pas à se présenter, car les Ukrainiens veulent secouer le joug de la Pologne. Le chef désigné d’avance de ce soulèvement est Kotchoubey, le père de Matrêna ; mais le vieux patriote ne se sent plus la force nécessaire pour conduire ses hommes à la victoire, il désigne au choix de ses compatriotes l'étranger Mazeppa, dans lequel une inspiration superstitieuse lui fait voir un nouveau chef envoyé par le ciel. Ce choix inattendu est vivement combattu par Iskra, jeune soldat de l’Ukraine, qui depuis longtemps aime Matrêna en secret. Iskra demande que le drapeau de la patrie soit mis entre les main d’un enfant de l’Ukraine. Malgré ce noble appel aux sentiments patriotiques de la nation, la voix du vieux capitaine l’emporte sur celle du jeune soldat. Au premier tableau du deuxième acte, Matrêna et ses compagnes viennent offrir des fleurs à l’autel de la Madone et des Saintes Images. Elles prient pour le salut de la patrie. La prière de Matrêna est pour Mazeppa, qui occupe déjà toutes ses pensées. Le vieux Kotchoubey fait partager sa confiance à sa fille, qui, dans un moment de douce quiétude, évoque les tendres souvenirs de son enfance ; elle chante une gracieuse berceuse, qui a été écrite spécialement pour la créatrice du rôle, Mme Bréjean-Gravière. Iskra survient, et, dans l’espoir que Matrêna trahira son secret, il lui annonce que l’armée est victorieuse, mais que Mazeppa a trouvé la mort dans les combats. Matrêna ne se contient plus, elle éclate en sanglots et en imprécations ; elle n’a jamais aimé Iskra, qui a pris pour de l’amour ce qui n’était qu’une amitié fraternelle ; elle ne sera jamais sa femme, et puisque Mazeppa a cessé de vivre, elle peut l’avouer maintenant, c’est lui, c’est lui seul qu’elle aimait ! Mais au dehors des cris de triomphe se font entendre. Mazeppa n’est pas mort. Il revient au contraire vainqueur. Matrêna est dans la joie. Le deuxième tableau du deuxième acte représente la grande place de Poltava. Les hymnes de gloire retentissent de toutes parts : c’est l’apothéose de Mazeppa le libérateur de l’Ukraine. Seul Iskra ne prend pas part à l’allégresse générale. Il a acquis la certitude que Mazeppa, cet aventurier traître à sa patrie, contre laquelle il vient de porter les armes, trahissait déjà la vaillante Ukraine et cherchait l’appui du roi de Suède pour renverser le tzar, auquel il veut ravir la puissance et le trône. « Amis, on vous trahit ! crie-t-il à la foule qui se répand sur la place ; Mazeppa vainqueur n’est pas la délivrance, il flatte l’espérance de nouveaux oppresseurs. Mort au vainqueur de la Pologne, au traître ! » « Eh bien ! frappez donc ! répond Mazeppa paraissant sur le seuil de l’église ; frappe, peuple qui vient de me bénir. Frappe-moi ! Est-ce donc un crime de vous avoir sauvés de l’abîme et délivrés de l’esclavage ? Avez-vous sitôt oublié vos allégresses, les Kosaks glorieux, les Polonais soumis ? Et ne voyez-vous pas que je suis rouge encore du sang de vos ennemis ? » Les deux tableaux de l’acte suivant nous montrent Mazeppa — sûr de l’appui de la foule et confiant en l’amour de Matrêna qui ne voit et ne respire que par lui — couronnant sa trahison. Mazeppa boit avec ses nouveaux alliés les Suédois. Au milieu de l’orgie passent le vieux Kotchoubey et les fidèles Ukrainiens qui ont trop deviné les infâmes menées de Mazeppa et que ce dernier envoie à la mort. Au même instant paraît Iskra; il est porteur des volontés suprême du tzar. Celui-ci connaît la trahison de Mazeppa qui devient, sur ses ordres, le prisonnier d’Iskra, et qui est dépossédé de toutes les faveurs indignement conquises. Mazeppa veut en vain résister ; maudit par tous, il s’enfuira détesté. Matrêna veut implorer son père. « Sois maudite comme lui, s’écrie Kotchoubey, maudite à jamais ! » Au dernier acte, Mazeppa, seul, anéanti, est étendu presque au même endroit de ce même steppe où, sanglant, évanoui, Matrêna l’a jadis rencontré. Matrêna erre également dans ces vastes steppes témoins autrefois des jeux de son enfance et plus tard de ses sombres amours. Elle erre inconsciente, privée de raison. Mazeppa, dans une dernière angoisse, veut essayer de reconquérir le souvenir de celle qui l’a tant aimé. Elle le reconnaît, le repousse et, dans un suprême éclair de raison, s’écrie : « Sois éternellement maudit par tout un peuple et., par moi ! » Elle chancelle! Elle est morte! Et l’irrémissible néant s’ouvre pour Mazeppa, ce réprouvé de l’honneur et de l’amour!

Les auteurs de Mazeppa

Mme De GRANDVAL 

Marie -Félicie- Clémence de Reiset, vicomtesse de Grandval, compositeur et l’un des membres les plus actifs de la jeune école française, est née au château de la Cour-des-Bois (Sarthe), propriété de Reiset, le 21 janvier 1832. Quoique sa haute situation et son état de fortune aient pu, au début de sa carrière, faire considérer Mme de Grandval comme un amateur, on s’est vite aperçu qu’elle était douée de facultés assez remarquables et d’une puissance de production assez rare, surtout chez une femme, pour qu’on puisse sans complaisance lui accorder le titre d’artiste. Dès l’âge de six ans, elle étudiait la musique et à douze ou treize ans elle s’exerçait déjà à la composition sous la direction de M. de Flotow qui était au nombre des amis de sa famille. Celui-ci ayant quitté la France peu d’années après, laissa incomplète l’éducation de son élève qui cependant se mit à composer de la musique instrumentale, d’assez nombreuses mélodies vocales, et à ébaucher quelques opéras, mais ces essais étaient fort imparfaits, et bien des années furent perdues pour elle, par suite de son inexpérience, dans l’art d’écrire et d’instrumenter. Cependant, Mlle de Reiset, devenue vicomtesse de Grandval, conservait un vif amour de la musique. Elle résolut de refaire en entier son éducation musicale et se mit dans ce but sous la direction de M. Camille Saint-Saëns. Après deux années d’études sérieuses et ininterrompues, elle avait atteint le résultat qu’elle désirait et se vit en état d’écrire correctement et de rendre exactement ses pensées. Depuis lors, Mme de Grandval ratrappant le temps perdu, n’a cessé de produire, et son inspiration s’est révélée sous les aspects les plus divers ; musique dramatique, symphonie, musique religieuse, musique instrumentale, elle a abordé successivement tous les genres, en faisant preuve dans chacun d’eux, d’un talent véritable, d’une imagination bien douée et d’une faculté productive dont la vigueur est incontestable. La liste des ouvrages de Mme de Grandval serait trop longue à énumérer ici; nous pouvons renvoyer nos lecteurs qui désireraient la connaître dans son entier au supplément de la Biographie universelle des musiciens, de Fétis, publié sous la direction de M. Arthur Pougin. Cette nomenclature contenait jusqu’en 1881 : huit ouvrages dramatiques, opéras comiques, poèmes lyriques ou opérettes, joués soit au Théâtre-Lyrique, à l’Opéra-Comique, au Théâtre Italien ou aux Bouffes-Parisiens, sept œuvres religieuses, messes, Stabat, oratorios, dont Sainte-Agnès, exécutée dans un concert spirituel de l’Odéon en 1876; de nombreux morceaux de musique instrumentale exquises symphonies (concert populaire 8 mars 1874), suites, trios, sonates nocturnes, concertos, musettes, etc., une quantité considérable de musique vocale, comprenant des scènes dramatiques, mélodies, rêveries, duos, romances, et chansons dont plusieurs sont devenues célèbres aux concerts et dans les salons parisiens. Depuis cette époque (1881 ), Mme de Grandval a obtenu le prix du premier concours Rossini, sur 43 concurrents, avec un oratorio, la Fille de Jaïre, poème de Paul Collin, qui avait été choisi par le jury, lequel était l’Institut. L’année suivante cet oratorio fut exécuté au conservatoire avec l’orchestre et les chœurs de l’opéra, Mme Brunet-Lafleur, MM. Bosquin et Lauwers. En 1883-84, elle triomphait de nouveau à la Société des compositeurs de musique avec une suite d’orchestre et un divertissement hongrois ; et elle a composé depuis Atala, scène dramatique, poème de Louis Gallet, une masse d’œuvres pour hautbois, clarinette, violoncelle, un prélude avec variations pour M. Mars’ch, un recueil de dix mélodies (poésie de Sully Prud’homme), enfin Mazeppa, auquel Mme de Grandval a travaillé quatre ans.

M. Hartmann 

M. Georges Hartmann, un des auteurs du livret, est l’ancien éditeur des oeuvres de Massenet, Reyer, Paladilhe, Godard, Lalo, etc. De tous temps il s’est occupé de théâtre, puisque c’est à lui que Massenet doit ses principaux poèmes d’opéra. M. Hartmann est l’auteur d’Hérodiade, de Werther, et a collaboré au Mage et à Esclarmonde. C’est lui qui eut l’idée de l’ouvrage de Mazeppa, pour lequel il s’adjoignit M. Grandmougin. C’est avec le même collaborateur que M. Hartmann a fait le poème du Tasse, drame lyrique de Benjamin Godard, et Hulda, légende Scandinave, mise en musique par César Franck, et dont la magistrale partition, encore inédite, sera représentée à l’Opéra. M. Hartmann vient également de tirer du roman de Madame Chrysanthème, de Pierre Loti, le nouvel académicien, un opéra-comique dont M. Messager a écrit la musique, et qui sera représenté à l’Opéra-Comique au cours de la saison prochaine.

M. Grandmougin

M. Charles Grandmougin est né à Vesoul le 17 janvier 1850. Son père était bâtonnier de l’ordre des avocats à Vesoul, et sa famille le destinait au barreau qu'il abandonna pour suivre la carrière littéraire. Poète et bibliothécaire du ministère de la guerre, il a publié plusieurs livres de poésie et écrit des livrets d’opéras; enfin, un drame sacré, le Christ, qui sera joué sous peu au Théâtre Français.

La partition

Extrait du journal Le Matin du 24 avril 


" La partition.
Sur ce livret, plein d'intérêt et traduit en vers sonores, Mme de Granval a écrit une partition qui se distingue par une grande clarté, un sentiment dramatique très soutenu, une harmonie et une orchestration essentiellement modernes.
A cette heure tardive, je ne puis que vous signaler les morceaux principaux de la partition, ceux du moins qui ont été le plus applaudis.
Au premier acte, il faut citer une jolie berceuse, chantée par Matrena au second acte, le duo de Matrena avec Iskra, puis toute la scène de la place Poltava, très mouvementée, avec sa marche triomphale, ses chœurs de jeunes filles et surtout son finale, d'un grand effet dramatique.
Au troisième acte, après un beau prélude symphonique, se place un grand duo d'amour entre Matrena et Mazeppa, d'une tendresse élégiaque et du plus heureux effet orchestral ; au quatrième acte, un ballet très pittoresque et le finale de malédiction enfin, le cinquième acte renferme d'heureuses réminiscences choisies parmi les phrases principales de l'ouvrage et qui apparaissent comme autant de leït-motive, tour à tour tendres et passionnés. "

Extrait de l'article de Léon Kerst dans Le petit journal du 24 avril 

" La partition de Mme de Granval est à la, fois d'une vigueur surprenante et, d'un charme sans pareil ; avec la force et les poussées masculines, elle a la grâce et la subtilité féminines ; double mérite, qui la fait doublement heureuse ; mais ce qui frappe, jusqu'à l'étonnement, l'observateur sérieux, c'est la maîtrise, la curieuse possession de soi qui  plane sur l'œuvre et la distribue en ses diverses parties avec une sûreté de touche qu'envieraient bien des vétérans de l'art dramatique. C'est que Mme de Grandval est née " théâtre " et que si la destinée qui mène les compositeurs ne lui a guère permis jusqu'ici que d'être symphoniste, il faut voir, le jour où une circonstance, se présente comme elle sait la saisir ! Le jet mélodique est abondant, essentiellement distingué, neuf toujours, avec des rythmes brisés qui lui donnent la modernité et l'imprévu, ces deux qualités du théâtre chanté d 'aujourd'hui. L'orchestre ne  cesse pas d'être intéressant, par d'heureux mariages des timbres, par une polyphonie qui n'a rien que d'harmonieux, et qui sait ne point verser dans le bizarre, intentionnel, et par conséquent agaçant. Tout est musical, nourri, gras et robuste. C'est de la musique, enfin ! Et point fausse, point dissonante, qui a quelque chose à dire et qui le dit clairement, sans prolixité, à la française ! Un peu trop de batterie fracassante, par exemple un certain abus de timbales et de grosse caisse, qu'il sera facile de faire disparaître par quelques coups d'un crayon opportun. Mais cela n est rien et n'empêche pas l'œuvre d'être vraiment d'un ordre supérieur. Léon Kerst.

Extraits de l'article de Paul Lavigne dans La Gironde du 26 avril 1892 

Mazeppa appartient franchement à la période musicale contemporaine inaugurée peu après la guerre, et qui compte MM. Saint-Saëns, Joncières, Reyer, Massenet, Lalo, etc., parmi ses plus illustres représentants. On pense même peu à M. Saint-Saëns en écoutant cette partition, mais bien plutôt à Mireille, à Mignon, à Hamlet ; mais le compositeur dont on retrouve partout et à chaque instant les traces dans les quatre actes de Mme de Grandval, c’est sans contredit M. Massenet. Ce qui témoigne bien en faveur de la place énorme que ce maître, si éminent tient dans l’art musical de notre époque !... "

" En écoutant avec attention les tableaux de début, on éprouve un sentiment de surprise fort naturel à l’audition de nouveautés et d’effets spéciaux auquel on ne s’attendait pas. Cette surprise diminue de plus en plus, et on arrive à voir enfin très clair dans la manière du compositeur. Il y a quelques successions défendues, et n’ayant absolument rien de scolastique des quintes de suite et des « fausses relations » (pour parler le jargon de l’école), que l’auteur a parfaitement fait d’employer, car elles sont superbes et produisent le plus bel effet quand on n’en abuse pas. Combien de fois déjà ne l’ai-je pas dit ? Ce sont les compositeurs qui, à leur insu, créent les règles. Autant de pris sur l’ennemi !… 
De brusques modulations sont très savoureuses, mais produiraient plus d’effet encore si elles n’étaient pas en majeure partie amenées par le même mécanisme. Au milieu d’une phrase nettement accusée et bien tonale, on perçoit tout à coup un accord de quarte et sixte sur la dominante d’un autre ton, et c’est là le pivot (« la nuance », aurait-on dit au siècle dernier), qui opère le changement. Les premières fois, l’effet est saisissant ; mais bientôt après on s’y habitue comme à toutes les formules. "

jeudi 9 janvier 2025

Xabier Anduaga et Pretty Yende ensorcellent le public munichois dans La Fille du régiment

Xavier Anduaga (Tonio) et Pretty Yende (Marie)

L'histoire de la Fille du régiment se situe dans le contexte des guerres napoléoniennes qui conduisirent au traité de Presbourg, signé en décembre 1805 entre la France et l'Autriche, à la suite des défaites autrichiennes à Ulm et Austerlitz. La France récompense ses alliés du Sud de l'Allemagne : au détriment des Habsbourg, la Bavière, qui venait de s'allier la même année avec l'empereur des Français par le traité de Bogenhausen, s'agrandit notamment du Vorarlberg, du Tyrol, du Trentin. Napoléon Ier reconnaît à Maximilien de Bavière le titre de roi. 

La Fille du régiment, c'est ainsi que l'on appelle la jeune Marie, une enfant trouvée par des soldats sur le champ de bataille. La troupe décide d'élever en commun la jeune fille apparemment abandonnée. Bien sûr, un jeune homme apparaît bientôt, qui suscite un intérêt particulier chez elle, et le secret de ses origines n'est pas non plus laissé de côté. Dans la meilleure tradition de l'opéra-comique français, Gaetano Donizetti et son équipe de librettistes ont créé une pièce qui combine de manière originale l'idylle alpine, l'enthousiasme patriotique et l'amour romantique avec des situations comiques et des conflits survoltés.  La Fille du régiment qui fut pendant des années l'œuvre la plus populaire de Donizetti a été quelque peu reléguée au second plan au 20e siècle, notamment à Munich où l'opéra n'avait plus été produit depuis près de quatre-vingt-dix ans ! La nouvelle production permet de redécouvrir cette musique aussi amusante qu'astucieuse, même au-delà de sa célèbre ouverture ou du grand air de Tonio.

Damiano Michieletto, qui avait mis en scène Aida au BSO lors de la saison 2022/2023,  revient avec son équipe le scénographe Paolo Fantin et le concepteur lumière Alessandro Carletti. Le costumier Agostino Cavalca est également un compagnon de longue date du groupe et travaille pour la première fois à la Bayerische Staatsoper. Le chef Stefano Montanari, qui avait secoué le public avec la nouvelle production des Nozze di Figaro et sa conception propulsive, déchaînée et débordante d'idées de la partie d'orchestre et du continuo, accompagne à nouveau sa direction d'orchestre au pianoforte. Sa profonde connaissance du baroque et de l'opéra italien  lui permettent de donner vie à l'élégance et à l'humour de la musique de Donizetti. Stefano Montanari met en valeur l'instrumentation de la Fille du régiment. La musique s'écoule brillante, avec des clartés transparentes et limpides et une connaissance des effets qui rendent pleinement hommage au génie du compositeur. 

Damiano Michieletto place la question de la nature profonde des êtres et de leur véritable identité au centre de sa mise en scène. L'histoire se déroule sur deux niveaux : la nature et la ville. La nature comme symbole d'un monde instinctif et spontané et la ville dans le sens d'un monde de manières raffinées et de haute éducation. Musicalement au tambour que l'on entend à l'extérieur s'oppose la harpe, l'instrument du salon. Le spectacle joue ces deux côtés l'un contre l'autre, avec des costumes extravagants et des personnages amusants qui, à la fin, sont enfin libérés des étiquettes sociales et assument avec bonheur leur propre identité.  


Dorothea Röschmann (Marquise de Berkenfield) et Pretty Yende

La scénographie est à la fois simple et ingénieuse et rend compte des deux niveaux définis par Damiano Micheletto : au premier acte un vaste caisson de scène blanc parsemé de rares souches d'arbres a pour paroi arrière l'immense photo d'une forêt enneigée. Lorsque Marie est reconnue comme la nièce de la marquise de Berkenfield, deux soldats ex machina sont élevés par des filins descendant des cintres vers le milieu de la photo et se mettent à la découper pour laisser apparaître le salon de la marquise ; au deuxième acte qui se déroule au château de la marquise, c'est l'inverse qui se produit : un grand cadre accroché à  la paroi du fond  du château de la marquise représente la forêt enneigée, la toile sera crevée par le régiment venu retrouver sa pupille.

Si l'opéra est chanté en français, sa partie théâtrale se décline en allemand, ce qui n'est pas dérangeant quand on connaît le contexte historique de l'opéra. L'opéra de Munich a invité une grande actrice de théâtre, de télévision et de cinéma  pour interpréter le rôle de la duchesse de Crakentorp : Sunnyi Melles commente avec verve l'évolution de la jeune cantinière qu'elle destine à son neveu le duc de Crakentorp. Elle donne une duchesse drôle, dynamique, énergétique et impérieuse, qui perdra sa perruque à la fin du spectacle, symbole de la déconfiture de son projet matrimonial. C'est que le monde de la haute société est affublé par Agostino Cavalca d'un vestiaire pré-révolutionnaire : robes à la française avec panier et hautes perruques pour les dames. Le duc de Crakentorp en habit brodé et portant dentelles semble tout droit sorti des Caractères de La Bruyère : il nous a rappelé le personnage d'Iphis. Comme un concentré de toutes les afféteries, il porte une haute perruque étagée et obéit au doigt et à l'oeil à sa tyrannique tante, qu'il suit comme un caniche. Le rôle muet a été confié à Louis von Stebut, un jeune comédien qui réussit une composition très amusante de son personnage.

Le public attendait avec impatience Xabier Anduaga dans le rôle de Tonio, un ténor espagnol primé Opéralia que son interprétation du grand air " Ah ! mes amis, quel jour de fête ! " a propulsé à des hauteurs stellaires. Quelle voix, quel timbre, quelle puissance !  Il est le héros de la soirée, emportant la faveur du public avec la chaleur de son timbre si beau et si particulier, sa maîtrise technique incomparable du passaggio qui lui permet de défiler les neuf contre-ut comme d'autres enfilent des perles sur le fil d'un collier. Une merveille d'interprétation qui se double d'un jeu de scène d'un naturel ingénu, à la suite de laquelle le jeune ténor emporte une longue ovation tonitruante mêlant les bravi, les applaudissements et les trépignements. Xabier Anduaga s'inscrit dans la glorieuse lignée des meilleurs interprètes du rôle, Pavarotti, Alfredo Kraus ou plus récemment Juan Diego Flórez et Javier Camarena. Le ténor rencontre la soprano Pretty Yende, dont l'interprétation du rôle-titre est bien connue sur les scènes internationales. Pleine de vie, fougueuse, — ici joyeuse et pétillante d'allégresse, là malheureuse et désespérée mais rebelle, — Pretty Yende s'investit pleinement dans le personnage de Marie avec cette grande spontanéité qui fait sa force. Ce rôle, qu'elle commença de chanter à la Maestranza, est une de ses meilleures cartes de visite. Son interprétation est souple, légère et se plie avec facilité à tous les caprices de la vocalisation. Le trille lui sied à ravir.  Elle amuse beaucoup en chantant faux alors que sa tante la force à s'exercer au chant de salon. La soprano allemande Dorothea Röschmann donne une belle composition du rôle de la marquise de Berkenfield, tante prétendue mais en fait mère de Marie, une femme coincée dans le respect des valeurs traditionnelles de sa caste et qui veut faire de sa fille une dame, mais qui finira par rendre les armes et céder au charme et au cœur débordant de son impétueuse fille. Le baryton georgien Misha Kiria, que l'on a déjà pu apprécier à Munich en Don Magnifico ou en Geronio, prête sa haute stature et sa corpulence impressionnante et débonnaire au sergent Sulpice, " père " en chef de Marie au sein de la troupe de ses 1500 pères. Il joue avec talent les faux durs sensibles et les pères attentifs, une prise de rôle des plus réussies ! Enfin le néo-zélandais Martin Snell, qui fait partie de la troupe de l'opéra munichois,  amuse beaucoup dans le rôle d'Hortensius. Les choeurs, entraînés par Christoph Heil, animent constamment l'action de leurs mouvements chorégraphiés avec humour. Ils donnent leur pleine mesure dès le chœur d'introduction au premier acte : la prière, dite d'abord par les voix de femmes, reprise ensuite par tous les choeurs, et l'allegro qui suit renferment de véritables beautés. 

On peut actuellement écouter l'opéra sur la radio bavaroise BR Klassik en ligne. Lors du festival d'été d'opéra, la production sera reprise pour deux soirées dans une distribution partiellement modifiée avec Serena Sáenz (Marie) et Lawrence Brownlee (Tonio).


Tableau final

La Fille du régiment de Gaetano Donizetti. Livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Bayard. Opéra comique en 2 actes (1840). Une coproduction de la Bayerische Staatsoper avec le Teatro San Carlo, Naples.

Distribution du 6 janvier 2025


Direction musicale Stefano Montanari
Mise en scène Damiano Michieletto
Scénographie Paolo Fantin
Costumes Agostino Cavalca
Lumière Alessandro Carletti
Chorégraphie Thomas Wilhelm
Chœur Christoph Heil
Dramaturgie Saskia Kruse et Mattia Palma

Marie Pretty Yende
La Marquise de Berkenfield Dorothea Röschmann
La Duchesse de Crakentorp Sunnyi Melles
Tonio Xabier Anduaga
Sulpice Misha Kiria
Hortensius Martin Snell
Un caporal Christian Rieger
Un homme de la campagne Dafydd Jones

Orchestre de l'État de Bavière
Chœur de l'Opéra d'État de Bavière

Crédit des photos © Geoffroy Schmied

samedi 4 janvier 2025

Exposition Johann Strauss au Musée du Théâtre de Vienne


Présentation du musée 

En collaboration avec la Bibliothèque municipale de Vienne, le Theatermuseum consacre une exposition spéciale au grand artiste Johann Strauss II. Nous célébrons ainsi le 200e anniversaire de ce musicien hors du commun, dont la renommée dépasse aujourd'hui encore largement les frontières de notre pays.

Johann Strauss s'est appuyé sur le succès de son père. Il composa, dirigea et entreprit des tournées de concerts qui le conduisirent lui et ses musiciens à travers le monde. Avec une facilité inouïe, il réussit à transformer la musique de danse à laquelle il s'adonnait au début en une musique de concert exquise dont sa personne était la pièce maîtresse incontestée. Aucun autre maître de chapelle n'a dirigé un orchestre avec autant d'effet, avec ou sans violon. Outre de nombreuses valses, polkas et marches, il écrivit de nombreuses œuvres scéniques, dont l'opérette Die Fledermaus (La Chauve-souris) qui connut un succès mondial.

La dynastie Strauss est née sous la direction d'Anna Strauss, qui a su reconnaître le potentiel de ses fils Johann, Josef et Eduard. Johann Strauss peut être décrit comme une « superstar », qui a su se vendre et vendre sa musique avec brio, comme beaucoup de stars de notre époque.

L'exposition présente de nombreux objets originaux provenant du Theatermuseum et de la Wienbibliothek im Rathaus. Dans la présentation des documents écrits, nous avons particulièrement mis l'accent sur leur importance pour la vie professionnelle et privée de Strauss, en mettant toujours l'accent sur leur importance sociale et théâtrale. Une salle entière est consacrée à l'opérette Die Fledermaus ; la partition originale, l'un des objets les plus importants de l'exposition, est exposée, tout comme les costumes originaux et le livret de production de la légendaire mise en scène de Max Reinhardt. Et bien sûr, vous pourrez également apprécier l'une des plus belles mélodies du roi de la valse — An der schönen blauen Donau, ou Sur le beau Danube bleu comme on l'appelle en français.

Source : traduction du texte Theatermuseum Wien

Reportage photo

Olga Vassilievna Smirnitskaia, le grand amour de Strauss de 1860 à 1862

Les trois positions préférées de Johann Strauss
in Kikeriki du 25 février 1864

L'ubiquité du Kapellmeister Strauss
expliquée aux lecteurs du Kikeriki du 8 février 1866

au Coliseum de Boston en 1872

Le Drolatique du 6 juillet 1867






Les parents de Johann Strauss II





vendredi 3 janvier 2025

Un nouveau musée Art & Tech Johann Strauss II à Vienne


Vienne fête le bicentenaire de la naissance de Johann Strauss II — À cette occasion, un nouveau musée vient de s'ouvrir, situé face au bâtiment de la Sécession. Il est consacré à la vie et à l'œuvre de Johann Strauss II.

L'exposition invite à ressentir la fascination de Johann Strauss d'une nouvelle manière. Le musée associe les technologies les plus modernes à la possibilité d'en savoir plus sur le compositeur  au cours d'une expérience immersive. C'est un lieu où son génie peut être ressenti et vécu : l'exposition offre aux visiteurs l'occasion de se plonger dans l'aventure et d'entendre personnellement le récit de sa vie et créative ainsi que de comprendre les turbulences de sa vie avec tous ses hauts et ses bas. Johann Strauss - New Dimensions ! 

Compter 90 minutes pour bien profiter de la visite de ce musée entièrement virtuel. 

Un spectacle immersif en 7 actes

Acte 1 - Toutes les valses

Le premier acte nous fait revenir à en 1825 à Vienne, année de la naissance de Johann Strauss II. Son père, Johann Strauss I, le célèbre « violoniste du diable », révolutionne la scène viennoise de la danse. Strauss captive la société par ses performances virtuoses.

Acte 2 - Le jeune sauvage

Le deuxième acte nous entraîne dans les bouleversements politiques de la révolution de 1848, et l'on peut vivre de près les conflits de générations.

Acte 3 - La voie est libre

Au troisième acte, Johann Strauss II occupe le devant de la scène. Après la mort de son père, il conquiert la scène internationale - avec une passion qui le mène jusqu'en Russie ! Ici, on n'assiste pas seulement à ses succès musicaux, mais aussi aux relations amoureuses qui ont façonné sa vie.

Acte 4 - L'ascension

Le quatrième acte nous plonge dans la splendeur de la renommée internationale de Strauss, notamment à travers la valse intemporelle « Le Danube bleu ». On en apprend davantage sur les femmes fortes de sa vie, de sa mère à ses trois épouses, qui l'ont accompagné et soutenu tout au long de son parcours.

Une machine à composer unique permet au visiteur de se créer sa propre valse.

Acte 5 - Les œuvres et les partenaires de la scène

Dans le cinquième acte, on découvre comment Strauss a révolutionné l'opérette. Des classiques tels que Die Fledermaus et  Le Baron tzigane  prennent vie et permettent de vivre la magie de ces chefs-d'œuvre

Acte 6 - La fin et aujourd'hui

Le sixième acte nous conduit à la fin d'une époque. La mort de Strauss en 1899 et l'incendie dramatique de précieuses archives musicales par son frère Eduard. Pourtant, l'héritage de Johann Strauss perdure, notamment à travers « Le Danube bleu », qui jouera plus tard un rôle politique important.

Acte 7 - Final - La valse multidimensionnelle

Dans une salle immersive dotée de murs de 5,5 mètres de haut, les moments clés de la vie de Johann Strauss sont mis en scène de manière impressionnante.

L'indispensable audioguide

Un audioguide moderne, disponible en 8 langues, dont le français et l'espagnol,  guide et accompagne les visiteurs dans le musée. Les casques sont dotés d'un système de son 3D géolocalisé. Ce système permet de percevoir les sons de manière individuelle en fonction de votre position dans la pièce. Le système innovant adapte dynamiquement les sons, ce qui signifie que les bruits et les éléments musicaux qui entourent les visiteurs changent en fonction de l'endroit où ils se trouvent ou de la direction dans laquelle ils se déplacent. Cela crée une expérience auditive tridimensionnelle, qui donne l'impression de se trouver au beau milieu du paysage sonore. Ainsi, la visite dans le musée devient une expérience immersive où le son et l'espace se confondent de manière impressionnante.


Reportage photographique

Le musée est ouvert, les façades sont en restauration


Le père


La mère











Les Juifs et le roi allemand de la valse Johann Strauss


Maria Anna Strauss


Olga, le premier grand amour












Photos Luc-Henri Roger