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mercredi 29 mars 2023

Bayerische Staatsoper : Willkommen, bienvenue, welcome au cabaret de la Calisto de Cavalli

Les chasseresses de Diane

L'Opéra d'Etat de Bavière a repris cette saison un opéra baroque de son répertoire, La Calisto de Francesco Cavalli, dans une mise en scène créée dans la maison en 2005 par David Alden, avec au pupitre Christopher Moulds, un spécialiste renommé de l'opéra du 17ème siècle italien,  qui dirige le Monteverdi-Continuo-Ensemble et quelques solistes de l'Orchestre d'Etat de Bavière.

Le parti pris de David Alden consiste à privilégier le divertissement et à mettre l'accent sur les aspects comiques de l'oeuvre plutôt que sur le pathos ou sur une réflexion sur les destinées de l'humanité. Sa façon de mettre en avant la représentation de la comédie humaine, — et dans le cas de la Calisto, de la divine comédie, — participe d'une vision philosophique pessimiste, celle qui considère la vie humaine comme un jeu dérisoire auquel on est bien obligé de participer. D'autres lectures de l'œuvre sont bien sûr possibles, mais une fois l'option arrêtée, les choix d'Alden tiennent la route et procurent au public trois heures d'un enchantement scénique extrêmement coloré et animé.

Life is a cabaret, old chum. L'Empyrée d'Alden, d'abord évoqué par la projection en plein écran d'avant-scène de sommets enneigés baignant dans une lumière rouge, tient davantage d'une grande boîte de nuit interlope que du séjour mythique des dieux, d'un grand bordel de luxe présentant un spectacle d'artistes de qualité et dont la nymphe Calisto deviendra la star. Le décor conçu par Paul Steiberg, avec ses vagues psychédéliques à la vulgarité tapageuses et ses innombrables lampes globulaires au plafond, renvoie aux années 60 ou 70. Les trois personnages du Prologue, la Nature (Dominique Visse), l'Eternité (Roberta Mameli) et la Destinée (Teresa Iervolino), avec leurs costumes fantastiques qui donnent le ton de l'ensemble, discutent de l'immortalité de Calisto dont ils souhaitent faire une nouvelle étoile. Mis en abyme, le spectacle est dans le spectacle, Calisto chante au micro sur une scène de cabaret, Jupiter descend le grand escalier en animateur de spectacle, Junon est habillée comme pour un défilé de mode flashy. Le travestissement est de rigueur, ainsi celui de la Nature en drag-queen grotesque avec sa longue barbe, de Jupiter qui se déguise en Diane pour séduire Calisto, ou de l'extraordinaire Linfea, chantée par un homme, qui parade dans son travesti ridicule. La Calisto devient une histoire d'amours lesbiennes, comme en témoigne  l'amour de la nymphe pour la fausse déesse ou de Linfea pour Diane, et d'amours perverses, comme celui de la déesse dans son amour secret pour Endymion : son idéal de vertu se fissure, elle endort son aimé avant de lui faire l'amour en le masturbant, car elle ne veut pas perdre sa réputation de vierge effarouchée. C'est un festival de toutes les sexualités, bestialité incluse, entre les dieux, les humains et les personnages mythologiques composites qui tiennent à la fois de l'humain et de l'animal. Les costumes participent largement du spectacle : Buki Shiff a produit des créations aussi fantastiques que remarquables, c'est un pur régal d'extraordinaires trouvailles, telles les deux paonnes qui accompagnent la déesse Junon dans tous ses déplacements, un magnifique centaure ailé, un Pan majestueux au masque de bélier, la cour des chasseresses qui entourent Diane, plus putes que vierges, le délicieux grimage de Satirino, il faudrait tous les citer. Un défilé incessant de costumes, une animation visuelle constante et toujours surprenante dans des décors volontairement criards. Les sens sont constamment sollicités avec un  crescendo qui s'accentue au fil des actes. 

L'exposition du premier acte est une succession d'étonnements avec la présentation du très grand nombre de protagonistes aux relations parfois compliquées et aux motivations souvent troubles. David Alden parvient à faire prendre cette sauce complexe et les deux actes suivants sont un enchantement scénique, avec à la fin du troisième acte un tableau de jeunes femmes habillées en de longues robes blanches féeriques qui viennent figurer la disposition des étoiles de la Grande Ourse, de cette ourse qu'est devenue Calisto magiquement transformée par l'épouse jalouse de Jupiter. L'ourse Calisto ne deviendra étoile qu'après sa mort.

Christopher Moulds

Au temps de Cavalli, l'orchestre était limité à 6 musiciens. Ce nombre est aujourd'hui triplé, ce qui permet de répondre aux nécessités acoustiques des salles d'opéra contemporaines : le Théâtre national de Munich fait six fois le volume du Teatro Sant' Apollinare de Venise où la Calisto fut représentée pour la première fois le 28 novembre 1651.

Christopher Moulds, très apprécié du public munichois, — il est invité dans la maison depuis plus de 20 ans, —  rend admirablement la musique de Cavalli, en lui apportant toute la maîtrise de son expertise de la musique baroque, il lui donne du relief avec de délicates précisions et de belles clartés. Avec ses musiciens, il en livre une interprétation remarquable portée aussi par de magnifiques chanteurs auxquels le chef prête une attention soutenue. La prestigieuse distribution offre au public munichois la découverte de six chanteurs et chanteuses qui font cette saison leurs débuts dans la maison. 

Aryeh Nussbaum Cohen, un Endimione d'anthologie

Ainsi du rôle-titre interprété par la soprano britannique Mary Bevan,  qui semble être faite pour le rôle de la Calisto tant est remarquable l'expressivité de son jeu de scène, à laquelle elle prête sa somptueuse beauté et la souplesse et les brillances d'un soprano au cristal clair et délicat.  Le baryton-basse Milan Siljanov, qui fait partie de la troupe du Bayerische Staatsoper, donne un Giove puissant, magnifiquement projeté, avec un jeu d'acteur amusant, très drôle dans son travesti en déesse Diana. Il est accompagné du Mercurio de bel aloi de Nikolay Borchev. La soprano Roberta Mameli fait des débuts munichois  remarqués en Giunone avec une interprétation en crescendo qui gagne en rage et en furie au cours de la soirée,  mais aussi avec des passages poignants, chargés d'émotions intenses. Son apparition précédée de deux paons majestueux est un des plus beaux moments scéniques de la représentation. Le Satirino du haute-contre Dominique Visse est tout simplement délicieux, son jeu d'acteur extrêmement subtil, nourri de plus de 40 ans d'une carrière prestigieuse. Il chante d'une voix de fausset tout à fait cocasse et fait ici et là des descentes vers les graves des plus amusantes. La mezzo Teresa Iervolino soutient le rôle de Diana avec beaucoup d'élégance stylistique dans l'interprétation, d'une voix patinée et sombre qui a les dorures d'un bronze ancien. Ici aussi un jeu de scène remarquable donne à voir une femme un peu vieillie et boiteuse, se soutenant de sa canne, avec de délicieux moments comiques lorsque craquèle la vertu farouche de la déesse. Une des meilleures compositions grotesques de l'opéra est celle du ténor Mark Milhofer qui amuse beaucoup dans son interprétation du rôle travesti de Linfea. Le ténor Anthony Gregory impressionne dans le rôle de Pane par son chant chaleureux et percutant. Il fait ses débuts dans la maison tout comme le baryton-basse Ashley Riches dans le rôle de Silvano, le centaure ailé. Enfin, last but not least, le contre-ténor américain Aryeh Nussbaum Cohen fait lui aussi sa première apparition au Bayerische Staatsoper avec son Endimione bouleversant de beauté, qui lui vaut les acclamations répétées d'un public séduit par ses accents justes et émouvants et la pureté de sa ligne vocale. Sans aucun doute la plus belle découverte de la soirée. Son long monologue de la première scène du deuxième acte, " Erme, e solinghe cime " laisse émerveillé et pantois. 

Cette Calisto est à voir et à revoir pour son inventivité, sa légèreté, ses trouvailles, sa drôlerie, pour la beauté de la composition musicale. Les rires fusent de partout dans la salle. Cette mise en scène n'a pas pris une ride et la production est renouvelée par l'apport et l'heureuse découverte de nouveaux talents, et l'orchestre est rien moins que sublime.

Distribution

Direction musicale Christopher Moulds
Mise en scène David Alden
Décors Paul Steinberg
Costumes Buki Shiff
Collaboration chorégraphique Beate Vollack
Lumières Pat Collins

La Natura Dominique Visse
L'Eternità Roberta Mameli
Il Destino Teresa Iervolino
Giove Milan Siljanov
Mercurio Nikolay Borchev
Calisto Mary Bevan
Endimione Aryeh Nussbaum Cohen
Diana Teresa Iervolino
Linfea Mark Milhofer
Satirino Dominique Visse
Pane Anthony Gregory
Silvano Ashley Riches
Giunone Roberta Mameli
Le Furie Jessica Niles / Dominique Visse

Orchestre d'État de Bavière
Monteverdi-Continuo-Ensemble

Crédit photographique Wifried Hösl

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