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jeudi 19 novembre 2020

Le pèlerinage de Mariazell et l'impératrice Elisabeth

 

Magna Mater Austriae / Une photo de Launus pour Wikipedia

Source du texte : article du Figaro du 21 septembre 1892

UN PÈLERINAGE DE STYRIE
EN 1892

    Revenu depuis quelques jours d'une excursion en Styrie (Steiermarck), je ne puis me défendre du désir de faire connaître à mes compatriotes un endroit qui, jusqu'ici, est resté bien inconnu, bien peu exploré par les Français voyageurs et amateurs de pèlerinages je veux parler du village de Maria-Zell. Beaucoup d'Autrichiens que j'ai eu occasion de rencontrer, des Viennois en particulier, connaissent nos grands pèlerinages français et sont allés à Lourdes, à Sainte-Anne d'Auray, à Notre-Dame de Fourvières,à laSalette.La réciproque n'existe pas, au moins jusqu'à présent, pour le célèbre pèlerinage autrichien, et je n'ai vu aucun Français pouvant me parler de Maria-Zell en connaissance de cause.
    Cette petite ville,à demi perdue au fond des Alpes Styriennes, est située à quelques heures de Mürzzùschlag, l'une des dernières stations du chemin de fer du Semmering. Plusieurs routes différentes peuvent conduire les pèlerins de Vienne à Maria-Zell. Le passage le plus intéressant est, sans contredit, celui de la « Femme morte» (das todte Weib) qui côtoie pendant plusieurs lieues la rivière bouillonnante de la Mürz et devient presque un torrent en différents endroits resserrés par les rochers. Sur un point où le chemin, surplombé d'énormes rochers, semble presque impraticable, on rencontre un oratoire de date récente et très soigné dans ses détails, au pied duquel le voyageur fatigué peut se reposer un instant. Il y a tantôt dix ans, l'impératrice d'Autriche, qui n'avait pas encore renoncé a sa passion pour l'équitation, avait entrepris, à cheval, le pèlerinage de Maria-Zell. Arrivée près d'un pont fait de troncs de sapins, très étroit et peu solide, son cheval prit peur et un de ses pieds se trouva engagé entre les planches mal ajustées. Il fit un bond, et l'écart fut si violent que Sa Majesté fut à demi renversée ; elle faillit être précipitée dans le torrent. Son salut, dans ce danger, fut attribué, après la protection toute divine de la Vierge de Maria-Zell, à l'intervention bienfaisante de saint Georges, patron des cavaliers. Aussi la jeune princesse Marie-Valérie, fille cadette de l'Impératrice, qui, à cette époque, était à peine sortie de l'enfance, voulut-elle, dans un élan de reconnaissance, perpétuer le souvenir de cet accident heureusement détourné. Elle fit élever le petit oratoire et composa elle-même en vers allemands deux strophes qui furent inscrites au-desseus de l'image du saint qu'elle voulait honorer-et remercier. En voici la traduction

Saint Georges,patron des cavaliers,
Toi qui peux nous préserver de tout danger 
Et près de qui ma mère, a si souvent trouvé protection
Alors que tout secours humain faisait défaut, t
Je te prie avec confiance,

Ne repousse pas mon humble demande, 
Sauvegarde toujours la vie si précieuse 
De celle qui m'a donné le jour.

Marie-Valérie.
En souvenir du 21 août 1883.

    L'impératrice Elisabeth prend à peu près chaque année le chemin du célèbre pèlerinage. Elle se mêle humblement aux fidèles et assiste à l'office matinal. Le mois dernier a vu venir l'archiduchesse Stéphanie, accompagnée de la jeune princesse Elisabeth, sa fille, et de ses dames d'honneur.
    L'église très spacieuse n'offre aucun caractère particulier ; son clocher gothique a seul été conservé après différents incendies ; il est accompagné de deux autres clochers plus petits dont la forme n'a rien de remarquable, mais l'ensemble de ces trois clochers de front donne à la façade de l'église une physionomie originale. On les aperçoit à une assez grande distance si l'on arrive à pied par la montagne, leur vue donne aux pèlerins fatigués l'espoir de l'arrivée prochaine, mais le mirage est trompeur et le chemin à parcourir encore long et pénible. J'aime la naïveté de ces grandes processions arrivant de tous côtés la veille et le matin des jours de fête. Les jeunes filles portant elles-mêmes les madones de grandeur naturelle et habillées de riches étoffes, les femmes chantant des cantiques et suivant, non sans peine parfois, les groupes d'hommes qui marchent en avant, tête nue et récitant le chapelet, sous la conduite du curé de leur paroisse. Les voitures rustiques qui les accompagnent, attelées de boeufs ou de forts chevaux de trait, sont destinées à recueillir les souffrants ou les faibles de ces pieuses caravanes. Ces chars sont couverts d'une tente de toile tout ornementée de fleurs, de rubans et d'images de dévotion on les voit passer par file de plusieurs kilomètres. La veille du 15 août, plus de huit mille personnes étaient sur les routes, venant de Gratz soit à pied, soit dans ces pittoresques véhicules. Le chemin en était obstrué et l'on entendait de toutes.parts retentir les chants d'un rythme doux et triste que ne ménageaient point ces braves, et courageux paysans, malgré la poussière, là fatigue et la longueur du chemin sous un soleil de plomb. On ne saurait imaginer la richesse et la beauté des costumes qui sont encore conservés par les paysans aisés des différentes nationalités dont se compose l'empire austro-hongrois.
    En Styrie ce sont les robes de soie brochée, les bonnets d'or fin qu'on se passe de génération en génération ; puis viennent les costumes de Hongrie, riches, aux couleurs voyantes, ceux de Croatie ou d'Esclavonie, avec leurs chemises brodées de soies de couleurs variées et enrichies d'ornements d'or. Quelle ravissante garde d'honneur j'ai vue autour de la Madone miraculeuse ! Une douzaine de jeunes filles d'un village hongrois dont le nom m'échappe, arrivées le matin même, étaient venues allumer leurs cierges à l'une des lampes qui brûlent nuit et jour autour de la chapelle qui renferme la sainte image. Toutes étaient jolies, ce qui est rare parmi ces paysannes et ce qui l'est plus encore, aucune n'avait le teint brûlé par le chaud soleil d'août. Sur leurs têtes brunes ou blondes était noué, en forme de « marmotte », un petit foulard du rouge le plus vif, laissant voir l'opulence de leurs tresses. Elles portaient la chemise brodée aux larges manches avec le corselet de soie aux agrafes d'argent ; leurs jupes étaient rehaussées par une bande de soie assortie à leur coiffure et aussi par le joli tablier à plastron garni de dentelles et enrubanné que portent la plupart des jeunes paysannes autrichiennes, à quelque nationalité qu'elles appartiennent. Je m'arrête à cette jupe, craignant de dépoétiser le gracieux costume que je viens d'esquisser en donnant un dernier détail. Je veux parler des horribles bottes particulièrement appréciées de la race hongroise et qui rendent la jambe de la femme la mieux faite absolument ridicule, puisqu'elles la dissimulent complètement en la défigurant !
    Le trésor de l'église est fort curieux. Il contient des bijoux et objets d'art en grande quantité, provenant des dons de reconnaissance des pèlerins. J'ai admiré de magnifiques ornements faits par les grandes dames autrichiennes et marqués par elles de leurs chiffres ou de leurs armoiries.
    Mme la comtesse de Chambord, peu de temps avant sa mort, avait envoyé trois lampes de sanctuaire en or massif et une croix formée de gros diamants, qui avait appartenu à la reine Marie- Antoinette.
    Le trésor a été encore récemment enrichi par le don magnifique que l'Impératrice a fait d'une garniture d'autel en point de Venise, estimée à plusieurs milliers de florins. Il renferme un grand nombre de cadeaux de grand prix, offerts par plusieurs générations d'archiducs et d'archiduchesses;
    Quelques offrandes, de beaucoup plus modeste apparence, rangées dans les vitrines, sont cependant bien touchantes dans leur simplicité naïve. L'une d'elles m'attira particulièrement : c'était une superbe chevelure blond doré, retenue à son extrémité par un ruban bleu, vieux et fané. Le gardien me raconta qu'il y a quelques années, une jeune paysanne était venue en pleurs se jeter aux pieds de la Vierge miraculeuse, lui demandant la guérison de son fiancé, atteint mortellement par une blessure reçue à la chasse. La pauvre enfant sacrifia elle-même ses beaux cheveux au pied de l'autel, dans l'espoir d'être mieux exaucée.
    Elle le fut en effet. Contre toute attente son fiancé guérit; mais, hélas! ce que ce rude paysan avait particulièrement apprécié dans celle à qui il avait engagé sa foi, c'était précisément sa belle chevelure ! Il ne put cacher l'amertume de ses regrets ; son désappointement prit une forme si peu flatteuse que la jeune fiancée, justement indignée, porta bientôt sa tête dépouillée au monastère voisin.
    Les environs du village de Maria-Zell sont pittoresques et sauvages ; il y a une grande variété de charmantes excursions à faire, un joli lac, des montagnes couvertes d'épaisses forêts. Quelle fraîcheur délicieuse au milieu des ardeurs de l'été on trouve dans ces étroites vallées où le soleil ne brille que quelques heures par jour! Qu'il serait bon de pouvoir passer la chaude saison dans cette verte Styrie chantée par les poètes !
M.S.
Invitation à la lecture

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