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vendredi 19 mai 2017

Jesus Christ Superstar à la Reithalle dans une nouvelle mise en scène de Josef E. Köpplinger


Le grand final
La dernière scène

Josef E. Köpplinger avait déjà fait un tabac il y a trois ans avec une version semi-concertante de l'oeuvre de jeunesse d'Andrew Lloyd Weber, que le Theater-am-Gärtnerplatz avait montée au Cirque Krone (voir notre article). Il fait aujourd'hui un triomphe en revenant sur l'ouvrage avec une mise en scène visionnaire qui apporte de nouvelles lumières sur l'oeuvre. La construction de la mise en scène suit un tempo minutieusement travaillé, dont le rythme va en crescendo, avec un bouillonnement d'idées plus géniales les unes que les autres, et un éclairage savant, au sens propre du terme, qui change les couleurs des lumières, du rouge au bleu, au fil de l'action . Les tableaux, la mise en place des protagonistes et des choeurs, la collaboration étroite avec la chorégraphe Ricarda Regina Ludigkeit et un casting qui frise la perfection, la simplicité ingénieuse des décors de Rainer Sinell, la convergence de tous ces éléments conduit à un spectacle de théâtre  total qu'un public quasi en délire a salué d'une interminable standing ovation.

L'oeuvre aborde le récit des sept derniers jours de la vie de Jésus par le biais inhabituel de la vision qu'en a Judas Ischariote, qui n'est pas seulement présenté dans l'image traditionnelle qu'on en a, celle du traître, mais également dans celle de l'ami et du confident du Christ, un ami sceptique qui observe avec une inquiétude croissante la transformation de l'euphorie populaire des débuts en fanatisme religieux et en starmania: Judas dénonce le fait que  Jésus fait de plus en plus l'objet d'un culte superficiel de la part de ses zélateurs, et  quel'inquiétude de ses détracteurs va croissante.

Jésus (Armin Kahl) et Marie-Madeleine (Bettina Mönch)
Josef Köpplinger nous montre la modernité de cette histoire qu'il place dans le monde contemporain: les disciples ou les zélateurs de Jésus sont habillés comme les jeunes d'aujourd'hui (beaux costumes d'Anja Lichtenegger), sont partout joignables sur leurs portables et pratiquent abondamment les selfies; les pharisiens et leurs chefs portent costumes noirs et cravates lugubrement assorties. La production de Lloyd Weber et de Tim Rice s'inscrivait dans la mouvance de mai 68 et du mouvement hippie, celle de Josef E. Köpplinger emprunte ses codes aux mouvements alternatifs contestataires d'aujourd'hui, qui sacrifient  sans doute davantage à Mammon qu'à l'époque du Peace and Love.

Juan Carlos Falcón, David Jakobs et Levente Páll
Le grand hangar de la Reithalle conditionne l'organisation du décor. Rainer Sinell a construit un décor métallique qui divise la scène en deux par une passerelle munie de deux escaliers latéraux: à l'avant un grand espace scénique nu surmonté d'un cadre métallique porteur de gros projecteurs, inclinable ou entièrement abaissable sur scène,  délimitant l'espace dans le second cas; à l'arrière des gradins sur lesquels l'orchestre est installé, à peine visible du public; sous la passerelle des portes coulissantes de plastique translucide peuvent être fermées. La foule du choeur et des danseurs peut envahir la scène de tous côtés, ce qui se produit souvent et donne l'impression très animée d'une multitude grouillante et agitée. Ce décor  dépouillé va servir de cadre à une série de tableaux extrêmement fort et suggestifs. En voici quelques exemples parmi tant d'autres: le tableau de la cohorte des malades, des aveugles et des éclopés suppliant Jésus de les guérir, le contraignant à pratiquer l'imposition des mains, une scène saisissante parfaitement agencée; celui de la divine colère de Jésus chassant les marchands d'un temple figuré ici par les symboles de notre société d'hyper-consommation (l'euro, le dollar, des caddys de supermarché, des go-go dancers dansant lascivement dans une cage,...);  celui de  la dernière scène très festive, sous les lampions, où les disciples se placent autour de Jésus pour poser pour une photo de groupe très Léonard de Vinci; celui du mont des Oliviers simplement figuré par les disciples qui s'affalent; l'apparition d' Hérode monté sur un buggy et présenté comme une star avec un costume de paillettes haute couture très queer arrivant en scène avec sa suite de soulgirls et de drags queens juchées sur leurs pumps ; la scène très poignante de la pendaison de Judas de plus en plus prisonnier de filins rouges fluorescents, symboles peut-être de son enfermement psychique, et qui finit par se saisir de l'un d'eux pour se le passer autour du cou et se pendre; la scène de la flagellation de Jésus, qui se prend 40 coups de fouet, jouée avec un tel brio par Armin Kahl qu'on se figure les flagellations contemporaines pratiquées hélas aujourd'hui encore dans les pays soumis à la chariah; la scène enfin de la crucifixion, travaillée par le seul symbole, où Jésus monte sur une échelle et se tourne vers le public, les bras en croix. Josef E. Köpplinger réussit ici une de ses plus belles mises en scène et confirme sa flatteuse réputation de Grand Maître de la comédie musicale et de l'opérette.

Hérode (Prewin Moore) et sa suite
A mise en scène géniale, plateau de choix. Armin Kahl, un artiste des plus renommés dans le monde de la comédie musicale allemande, livre une énorme prestation tant d'acteur que de chanteur, avec une remarquable progression de la tension dramatique, avec des scènes solo qui rendent le public captif et une voix qui transmet avec force et puissance toute l'évolution émotionnelle du personnage qu'il incarne. David Jakobs donne un Judas  très convaincant, explosif dans sa confrontation de Jésus. Bettina Mönch apporte noblesse et humanité au personnage de Madeleine avec une interprétation très sensible d'un amour quasi maternel pour Jésus.  Levente Páll emplit le personnage de Kaiphas de sa voix issue de cavernes profondes avec des graves rarement atteints, avec à ses côtés et en total contraste le ténor de l'Annas de Juan Carlos Falcón qui chante volontairement très haut perché pour accentuer la différence avec son partenaire de scène. A eux deux, ils figurent les haines odieuses du pharisianisme avec un talent vocal confondant. Grand moment de la soirée, le numéro époustouflant  de Previn Moore qui donne de sa voix magnifique une surprenant Hérode aux accents gospel. Benjamin Oeser donne lui aussi un Pierre remarqué. Jeff Froner a fort à faire à diriger l'orchestre et les chanteurs avec lesquels il ne communique que par téléprompteurs. Y eut-il des ratés dans la sonorisation? Ce fut la curieuse impression des premières scènes jouées avec une sono assourdissante et la voix des chanteurs qui semblait déformée; cette impression se dissipa heureusement dès le premier grand solo de Marie-Madeleine.  Les choeurs, très sollicités dans la figuration, tiennent avec brio leur importante partie. Partout on sent la présence d'un esprit d'équipe très soudé qui fait la marque du Theater-am-Gärtnerplatz. C'est ce travail aussi qu'a voulu saluer le public par son immense ovation.

Le spectacle à ne pas manquer en ce moment à Munich, si l'on trouve encore une place...

Prochaines représentations à la Reithalle de Munich les 20, 21, 23, 24, 26, 27, 29 et 30 mai, et les 1, 2 et 3 juin 2017. Rares places restantes!

Photos de Christian POGO Zach

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