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lundi 14 novembre 2016

La vie parisienne et les 5 châteaux du Roi: (2) Hohenschwangau et Neuschwanstein

Deuxième partie d'un article publié le 20 septembre 1890 par le magazine parisien La Vie parisienne : moeurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes. L'article est signé des initiales E.C.  Les dessins sont de Ferdinand Bac.

Hohenschwangau et Neuschwanstein vus de France dans la presse féminine parisienne de la fin du 19e siècle. La Vie parisienne  de l'époque peut se lire gratuitement en ligne sur le site Gallica de la BNF

LA SEMAINE DE LA PARISIENNE

LES CINQ CHATEAUX DU ROI DE BAVIÈRE

VENDREDI. — Bien de la peine à se loger à Hohenschwangau.

     Comme l'avant-veille à Oberammergau on vous renvoie de Caïphe à Pilate, de la pension Schwansee à celle de Liesl. Finalement on a la chance de tomber sur l'idéal des hôtels: Alpenrose, dans une situation fantastique, au bord d'un lac perdu au milieu des montagnes. Je ne crois pas qu'on puisse voir quelque chose de plus féeriquement beau. Il sera beaucoup pardonné au roi Louis Il pour avoir choisi cet emplacement. De plus, vous aurez l'avantage de vous trouver à quelques minutes des deux châteaux, but de votre excursion, Hohenschwangau et Neu-Schwanstein. On dîne en plein air au bord du lac. Cuisine parfaite, vins délicieux. Le service comme dans les meilleurs hôtels de la Suisse, et quand vous partez, une note que vous lisez deux fois dans la crainte de vous être trompé. Si on avait eu la prudence de retenir ses logements, c'était la perfection. Alpenrose deviendra certainement une des stations les plus fréquentées de la Bavière.
     Hohenschwangau était un des plus beaux domaines de la couronne. Aujourd'hui on l'a morcelé. On y a installé des guinguettes, des restaurations à l'usage des visiteurs. Toute l'Allemagne veut juger par ses yeux de la prodigalité du roi Louis II. Les palais fermés de son vivant sont ouverts aujourd'hui à des flots de visiteurs. Les étrangers abandonnent les classiques bords du Rhin et vont faire le tour des cinq châteaux du roi de Bavière.


     A part sa merveilleuse situation, dominant deux lacs avec plusieurs plans de montagne pour horizon, Hohenschwangau lui-même n'est guère intéressant. Dévasté pendant les guerres de l'Empire, il a été rebâti par le roi Maximilien vers 1830. Cela vous indique son style. C'est le vulgaire château style ogival comme vous en voyez tout le long du Rhin ou en Angleterre avec ses tours et ses créneaux. A l'intérieur toutes les salles sont décorées de fresques tirées de l'histoire de la Bavière et des légendes du chevalier du Cygne. Tout est en cygne depuis les pincettes jusqu'aux lampes. Les jardinières ont la forme de cygnes, les vases, les lustres, l'argenterie, tout est en cygne et souvent quels cygnes! du plus pur Montereau. Les appartements de la feue reine sont désolants. Tous les objets d'art ou de prix comme dans tous les palais ont été volés par les domestiques ou vendus par la liste civile. Il ne reste absolument que des horreurs dont on ne ferait pas un lot de cent sous dans une vente, des petits joujoux et des Mater Dolorosa. Le roi habitait ordinairement le second étage. Sa chambre est aussi couverte de fresques tirées de la Jérusalem délivrée. Elle s'appelle la chambre d'Armide. Une seule photographie : celle de la reine de Naples, des statuettes de tous les personnages des opéras de Wagner en plâtre doré. C'est dans ce château qu'on est venu lire au malheureux roi l'acte de déposition et de là qu'il a été conduit au Schlossberg, sa dernière résidence.


     Le château de Neu-Schwanstein à l'extérieur est une merveille, et ce mot de merveille fait penser à celle du Mont Saint-Michel. Comme hardiesse on ne peut rien imaginer de semblable. Un nid pour des oiseaux gigantesques antédiluviens. Il est posé sur le sommet d'une montagne à la façon des forteresses d'Albert Durer. Il faudra le revoir dans quelques années, lorsque la pierre aura pris des tons plus foncés en harmonie avec ceux des rochers sur lesquels cette ville-forteresse est bâtie. Masse immense, une ville fortifiée du moyen âge, avec ses tours, ses tourelles, ses remparts ses clochetons, et en même temps d'une légèreté incroyable; on dirait des flèches de cathédrale. Les assises sont absolument cyclopéennes, mais disparaissent dans leur encadrement de verdure. L'intérieur est loin d'être terminé. On achèvera cependant la chapelle. Malheureusement tout, dans ce château, est du goût le plus déplorable, le plus criard, le plus théâtral. On se croirait à la Porte Saint-Martin du temps de Théodora,  Théodora a-t-elle précédé ou suivi la décoration intérieure de Neu-Schwanstein ? On a dit que le roi Louis II était venu incognito, comme il venait souvent à Paris, et qu'il avait été émerveillé de la mise en scène et du drame de Sardou, et que, rentré en Bavière, il avait l'intention de monter cet ouvrage sur son théâtre. Ayant peu d'argent à sa disposition, très pressé de jouir de ce qu'il faisait construire, on sent que le roi Louis II avait dû faire venir son architecte et ses décorateurs et leur avait dit de faire vite et le plus économiquement possible. Et ce que ce malheureux a dû payer toutes ces horreurs ! Tout est en toc, les tapisseries des Gobelins ou de la Savonnerie en toile peinte, les colonnes de marbre et de lapis en bois peint, les bronzes en bois doré, les mosaïques au mètre. C'est navrant. Partout des peintures représentant toujours Lohengrin, Tristan et Iseult. S'il n'y avait que ces peintures, mais les pièces du palais, la salle du trône, la salle des fêtes, la salle des chanteurs ne sont que des reproductions des décors des opéras chers au roi. C'est surtout le style byzantin qui domine. On cherche positivement Sarah Bernhardt, Justinien. On croit qu'ils vont entrer aux sons d'une marche pour assister à une grande fête, et, dans les petits appartements, qu'ils vont se livrer à des exercices sanguinaires.
     La chambre du roi à l'air plutôt d'un oratoire que d'une chambre à coucher, son lit est un reliquaire en chêne sculpté, une madone au fond, les rideaux en satin bleu brodé d'or. Sa toilette est aussi une toilette de théâtre, cuvette, pot à eau, etc., etc., style byzantin, imitation de cloisonné. Un grand cygne en argent sert de robinet pour l'eau froide ou l'eau chaude.


     Malgré sa splendeur extérieure peu de châteaux ont l'aspect aussi mélancolique. La route que le roi Louis avait fait faire pour gravir le sommet de la montagne où il est perché a plutôt l'air d'une vaste avenue de cimetière que d'une route pour les carrosses. Avec quelle tristesse, quel désespoir, le pauvre roi de théâtre, du fond du landau où on l'avait enfermé, a dû regarder son œuvre inachevée en passant au-dessous de Neu-Schwanstein, lorsque, après sa déposition, on l'a emmené sous bonne escorte, d'Hohenschwangau à Schlossberg, aux bords du lac où il devait si rapidement trouver la mort! On pourrait employer l'expression de Mme de Sévigné parlant de la mort de son jardinier: "Le château en est encore tout triste, malgré un ciel éblouissant. »

E. C.

(à suivre.)

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